Un tout nouveau chapitre - Anonymous - 방탄소년단 | Bangtan Boys (2024)

Chapter 1: Au Petit Paris

Chapter Text

Ses matins de semaine sont immuables, rassurants, parfois déprimants quand il se laisse aller à la nostalgie.

Ouvrir le rideau métallique, allumer les lumières et l’ordinateur, sortir et descendre les deux marches pour déposer le paillasson “Bienvenue” orné d’une tour Eiffel, déballer les colis arrivés la veille, s'accouder au comptoir et contempler la rue qui s’anime, un café chaud entre les mains qu’il sirote à peine.

Il joue avec les nombreuses bagues en argent qui ornent ses mains d’un air distrait, puis il relit un passage de livre qui le préoccupe depuis la veille.

Mais un homme qui a fait une fois un bond dans le paradis, comment pourrait-il s'accommoder ensuite de la vie de tout le monde ?

C’est si étrange de lire ses propres sentiments écrits par un autre homme disparu il y a plus d’un siècle !

Jimin replonge dans Le Grand Meaulnes le cœur battant, en attendant Taehyung.

Taehyung vient généralement après lui, parfois même après les premiers clients, parce que c’est lui “le patron”.

Jimin s’amuse à le regarder arriver à travers la grande vitrine. Il sautille plus qu’il ne marche et se donne des airs de dandy. Jimin trouve que cela lui va à ravir. Un duffle-coat en laine bleu marine, son écharpe Burberry qu’il ne quitte jamais, les cheveux qui tombent en mèches folles sur ses yeux, et ce parapluie qu’il fait tourner sur son épaule. Des lycéennes font volte-face sur son passage, gloussent. Il se retourne à son tour et les gratifie d’une courbette d’un autre âge. Elles se sauvent en trottinant. Elles seront là, ce midi, à la librairie, après les cours. Jimin en fait le pari.

Taehyung entre et la clochette de la porte d’entrée tintinabulle. Il adore. Un sourire espiègle se dessine sur son visage de jeune premier. Jimin se souvient qu’il avait l’habitude, les premiers mois, de ressortir et d’entrer à nouveau pour entendre, encore, le bruit joyeux.

Taehyung prend le temps de suspendre soigneusem*nt ses vêtements avant de faire le tour des rayonnages amoureusem*nt. Il questionne Jimin depuis l’autre bout de la boutique sur des sujets dont il connaît déjà les réponses. Il n’a pas vraiment besoin de Jimin pour faire tourner sa petite librairie. Il fait juste semblant. Il sait qu’il le sait. C’est leur accord tacite.

Il y a quelque chose d'apaisant dans la routine, dans le rituel silencieux qui les lie, Taehyung et lui. Les livres les entourent, emplissent l'air de leur parfum. Certains ont des histoires écornées, d'autres sont comme des amis fidèles, ou attendent d'être découverts.

Les premiers rayons de lumière filtrent à travers les étagères, dansant sur les reliures flambant neuves. La rue commence à bourdonner d'activité, mais ici, à l'intérieur, le temps semble suspendu.

Jimin n’est pas un libraire, pas vraiment. Son monde se réduit pourtant aujourd’hui à ces étagères, à ces histoires bien rangées, à ces pages qui lui promettent une évasion temporaire de la réalité. Jimin est un réfugié ici.

Et puis, il y a Taehyung, le maître de cérémonie, qui orchestre cette danse quotidienne avec une grâce théâtrale.

C'est dans ces instants, entre l'agitation de la rue et le calme intemporel de la librairie, que Jimin trouve une paix étrange. Une paix qu’il doit à Taehyung.

Ainsi passent ses matins, entre les pages des livres et les conversations feutrées, dans cette librairie qui est plus qu'un commerce.

Jimin était danseur étoile, avant. La semaine où Jimin renonçait à sa carrière, Taehyung inaugurait “Le Petit Paris”. Quand le rêve de toute une vie de l’un avait pris subitement fin, celui du second se concrétisait enfin.

— On a reçu le colis de 6699Press ? demande encore Taehyung depuis l’autre bout de la boutique.

Jimin toujours accoudé au comptoir s’amuse à regarder l’ombre de sa boucle d’oreille qui se balance sur les mots de Fournier. Il en est assez content. Elles lui vont bien, ces boucles-là. Cela faisait longtemps qu’il n’en avait pas mis.

C’est peut-être son passage chez le coiffeur qui a cet effet. Il y est allé sur un coup de tête, la veille au soir. La patronne, qui a un faible pour lui, l’a reçu et est restée “rien que pour lui”. Il a retrouvé ses cheveux blonds qu’il aimait tant. Il a perçu les regards admiratifs en sortant du salon. Il s’est senti séduisant. De nouveau. Alors, ce matin, Jimin a décidé de faire attention à son apparence. Il a délaissé les vêtements sans forme pour une tenue qu’il n’avait pas portée depuis des lustres.

— Tu m’entends ? souffle Taehyung en se penchant sur lui.

Jimin sursaute. Le gilet en angora bleu abandonné au fond du placard des mois durant glisse sur son épaule. Il n’a pas entendu Taehyung venir.

— Tu disais ? demande Jimin.

Taehyung caresse d’une main légère la chevelure de son ami, joue avec ses boucles d’oreille, puis attrape ses mains ornées de bagues.

— Te revoilà, murmure Taehyung. Tu es magnifique.

Jimin baisse les yeux, touché par le compliment. Il se dit qu’il doit rougir car ses joues brûlent. Il s’apprête à remercier pour ces mots doux mais Taehyung le précède.

— Je vais faire du chiffre aujourd’hui !

Jimin frappe l’épaule de Taehyung hilare avant de faire une moue adorable.

— N’importe quoi, ronchonne-t-il. C’est samedi. À midi, elles vont se ruer hors du lycée pour venir TE voir.

Ce dernier se retourne vers la vitrine de sa librairie. De là, il peut apercevoir le Lycée français de Séoul. Devant l’entrée principale de l’établissem*nt, le drapeau bleu blanc rouge, sous la pluie, claque au vent de concert avec le Taegeukgi. Il sourit, dodeline de la tête, a l’air flatté.

— Je suppose que Danielle n’est pas jalouse ? poursuit Jimin, mutin.

Taehyung se renfrogne. Mlle Danielle Yi, sa fiancée, a un caractère ombrageux et un brin possessif. Jimin le sait et s’en amuse.

— Je suppose que tu es tout joli pour la visite quotidienne de notre client préféré, rétorque Taehyung en sortant les livres du carton expédié par 6699Press.

Jimin ne répond plus. Il voudrait dire qu’il n’est pas “joli”, et que non, ce n’est pas pour Monsieur Kim Namjoon qu’il renoue avec son ancienne apparence. Cet homme, à ses yeux, est bien trop… Jimin ne saurait définir le trop. Jimin est mal à l’aise avec les émotions que lui fait ressentir ce client ; il se convainc qu’il ne l’apprécie pas.

Cet échange canaille avec son meilleur ami l’a mis de bonne humeur. Jimin sent le soleil se lever aussi dans sa poitrine. Il est prêt à accueillir avec charme et bonhomie les clients de la plus en vogue des petites librairies du quartier français de Séoul.

“Dling, dling” fait de rechef la clochette de la porte.

Jimin ne peut retenir un soupir d’agacement en reconnaissant le premier visiteur du jour. Il se retourne et fait mine de s’activer. Il entend Taehyung saluer gaiement. Le client, baguette sous le bras et sachet de croissants à la main, parle fort, avec un peu trop d’enthousiasme. L’odeur de pain chaud et de beurre envahit la petite boutique et agace l’estomac vide de Jimin.

— Monsieur Kim ! salue avec emphase Taehyung.

Le client secoue sa main, rit exagérément.

— Depuis le temps, appelle-moi Jin hyung, jacasse l’homme plus âgé qui semble amuser follement son ami.

Jimin se dit qu’il va rester là, à parler de la pluie et du beau temps une bonne demi-heure, comme d’habitude. Il sait qu’il est acteur mais il trouve qu’il en fait des caisses pour paraître jovial. Ce n’est pas nécessaire, ici, avec eux. Jimin préfère le Jin que Taehyung invite le soir, à l’Impasse, pour prendre un verre et parler de tout et de rien. Jimin préfère le Jin plus sincère et plus doux, bien que plus sombre.

Jimin aime la plupart des clients de Taehyung. Ils viennent pour lui, en premier lieu, et pour les livres qu’il sait mettre en avant, ensuite. Il charme tant de gens différents. Jimin a le sentiment que Taehyung lui apporte le monde sur un plateau. Un monde policé, certes, mais un monde qui ne le blessera pas.

Parmi ces clients, il y en a un que Jimin aime plus que les autres. Il vient tous les samedis à la même heure. Il est pataud et gauche parmi les livres. Il soupire, contemple, prend et repose les ouvrages des minutes durant avant de lever des yeux plein de détresse vers Jimin. Jimin ne vient jamais tout de suite à son secours car cela fait partie de leur rituel. Ce client que Jimin aime plus que tous les autres repart souvent bredouille.

“Dling, dling” prévient la sonnette.

Le voici, le client que Jimin aime plus que les autres. Il s’ébroue sur le seuil et chasse les gouttes de pluie de sa veste d’une main nerveuse. Il salue Taehyung et Jin timidement. Il sourit à Jimin en passant près de lui avant de se faufiler dans les rayonnages. Malgré sa taille, Jimin le compare à un petit mulot à cause de ses yeux ronds et noirs comme des billes, de ses petit* gestes nerveux et rapides, de sa capacité à se faufiler, se cacher, observer…

Jimin sait ce que vient chercher son petit mulot. Pas un roman, une biographie, un documentaire ou même un manga (bien que les mangas soient les seuls livres qu’il n’ait jamais achetés au Petit Paris), mais une personne.

— Hé, déjà levé ? demande Jimin avec douceur en s’approchant du grand timide.

— Hé, Jimin hyung, répond-il d’une toute petite voix.

— Il n’est pas encore arrivé, mais il ne saurait tarder, enchaîne Jimin en pointant Taehyung du menton.

Taehyung scotche sur la vitrine une affiche qu’il vient de dérouler. Il fredonne.

— Hein ? rougit Jungkook.

— Taehyung organise un événement pour la sortie d’un livre. Et tu sais comme IL attend la sortie de ce bouquin. Il ne devrait plus tarder… Tiens, justement, tu entends ? C’est la sonnerie du lycée.

Jungkook vient toujours le samedi, un peu avant midi, car ce jour-là, à cette heure-ci, vient immanquablement, un jeune professeur féru de littérature. Et Jungkook n’a d’yeux que pour lui. Jimin ne comprend pas bien ce que Jungkook trouve à cet autre monsieur Kim. Celui-ci, comme les deux autres au passage, est lunaire, comme venu d’une autre planète. Il peut parler avec passion de sujets incongrus, et, alors, tout son corps s’anime de manière étrange, comme si ses bras et ses mains échappaient à son contrôle. Dans ces moments-là, il lui arrive de se cogner un coude, de renverser une pile de livres ou de bousculer un client. Il s’excuse ensuite avec candeur et personne ne résiste à l’obligeance de ses mots.

Jimin l’admet, ce professeur est bel homme, il parle bien aussi, et les fossettes qui creusent ses joues, lorsqu’il sourit, sont vraiment charmantes. Mais il ne le comprend pas.

Toutefois, il conçoit bien comment Jungkook a pu tomber sous le charme. Jimin a beaucoup de compassion et de sympathie pour ce garçon qui pourrait être son petit frère.

Les premières fois qu’ils se sont croisés en dehors de la librairie, Jimin aurait voulu se cacher. C’était lors d’un de ses rendez-vous hebdomadaires chez le kinésithérapeute. Jimin n’avait pas trop envie de faire la conversation et de raconter ce pour quoi il était obligé de venir. Mais Jungkook n’est pas de ces hommes qui aiment les menus propos, les papotages, les “small talks” comme disent si bien les Anglais.

Jimin s’est laissé apprivoiser à coup de bonjours timides et de sourires simples et sans façon.

Jungkook vient aussi pour des séances de physiothérapie, tous les mercredis, à la même heure - Jimin sait maintenant que Jungkook aime les habitudes, adore les rituels - car sa carrière d’athlète malmène son corps pourtant encore jeune.

De fil en aiguille, ils se sont mis à partager un verre, un repas, un film, de la sympathie. Jimin s’est trouvé un “copain”, au sens premier du terme : le boulanger avait longuement expliqué à Jimin le sens de ce mot français. Un “copain” est littéralement la personne avec qui on partage son pain, et, par extension, la personne avec qui on vit.

Lorsque Jungkook a dû quitter son petit appartement de Gangnam parce que son immeuble allait être rasé pour faire place à une tour ultra moderne, Jimin n’a pas hésité à lui proposer de venir partager le logement dont il est l’heureux propriétaire.

Taehyung, les premiers temps, lui a battu froid. Taehyung est un jaloux. Un adorable jaloux. Bien qu’il soit son benjamin, il couve Jimin, voudrait le protéger de tout et de tous. Puis, de fil en aiguille, il a fondu pour le charme discret du nouveau colocataire, pour ses manies improbables et sa gentillesse. Bien que Jimin trouve l’affection de Taehyung envers Jungkook bien rude encore.

Jungkook, donc, a un faible pour le professeur Kim Namjoon. Jimin le comprend mais ne l’admettra jamais.

Car, pour Jimin, il n’y a plus d’amour heureux. Les passions blessent et laissent des cicatrices qui ne disparaissent pas. La vie et les hommes sont bien plus doux et aimables dans les livres que Taehyung vend. Les passions, les chagrins et les larmes que vit Jimin à travers les romans disparaissent une fois la couverture refermée ; et c’est bien mieux ainsi.

Chapter 2: Le problème Kim Namjoon

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Le téléphone sonne.

Jimin quitte son petit mulot des yeux et décroche. Jimin fait patienter poliment l’interlocuteur.

— Pour toi, souffle Jimin à l’intention de Taehyung, une main sur le combiné pour masquer la conversation.

— Pfff, souffle Taehyung qui abandonne son inventaire. Qui est-ce ?

— Monsieur Bang, répond Jimin en levant les yeux au ciel.

— Tu peux lui dire de se la mettre où je pense sa proposition de rachat ! fulmine Taehyung.

— Tae… murmure Jimin mi-agacé mi-suppliant.

Taehyung arrache presque le téléphone des mains de Jimin. Il répond d’abord froidement aux salutations, puis, comme il sait si bien le faire, répète de manière aimable et pourtant acide que “jamais, ô grand jamais, Au Petit Paris n’intègrera la chaîne Nosloop”. Sa librairie ne deviendra pas un hybride de café librairie dégénéré.

Jimin n’est pas tout à fait d’accord avec lui. Tout comme le professeur, d’ailleurs, qui s’est mêlé un jour à la conversation pointant subtilement les avantages de la proposition, concédant tout de même que l’indépendance n’avait pas de prix. Jimin l’a écouté avancer ses arguments avec sagesse. Il a été impressionné, mais aussi subjugué par la manière de s’exprimer du professeur à ce moment-là. Pourtant Jimin a vite relégué ce souvenir au fin fond de sa mémoire.

Taehyung enchaîne les silences butés et les tirades où il reprend à peine son souffle. Jimin sourit. Il adore quand Taehyung s’emporte pour quelque chose ou quelqu’un qu’il aime. Taehyung défend son commerce toutes griffes dehors. Il en a fait de même avec lui, quand il s’enfermait des jours durant dans son bel appartement cossu et flambant neuf, quand les jours ressemblaient aux nuits et qu’il ne savait plus s’il avait mal à la tête d’avoir trop bu ou pleuré.

Jimin est près de l’entrée, dos à la porte et à la vitrine. Il réarrange la pile de livres “ Lettres à mon meilleur ami ” de Jung Hoseok. Mettre en valeur, c’est son truc. Il sait y faire.

Il s’attarde un instant sur la couverture. Il envie ce Min Yoongi qui a un ami qui lui écrit un livre. Taehyung laisse des notes, des post-its, à Jimin. Parfois même juste des gribouillis sur une vieille feuille de commande prise dans le bac de papier à recycler. Avec des petit* cœurs, certes. Mais juste des notes. Pas de livre. Il jalouse aussi un temps l’auteur et son visage radieux qui s’étale sur le papier glacé de la quatrième de couverture. Jung Hoseok est écrivain mais aussi chorégraphe. Un chorégraphe très demandé. Si tout n’avait pas mal tourné, Jimin aurait peut-être quitté le ballet pour entrer dans sa troupe. Ils se sont croisés, un jour, à l’opéra. Le chorégraphe l’a salué, félicité, encensé ! Maintenant, Jimin se sent comme expulsé de ce monde.

Jungkook grogne et gesticule à quelques pas de lui pour attirer son attention.

Jimin se redresse. Taehyung est toujours au téléphone. Jungkook le regarde avec des yeux comme des soucoupes et se dandine d’un pied sur l’autre. La sonnerie du lycée retentit et couvre les bruits de la librairie et de la rue.

Il n’y a pas une foule de raisons pour que Jungkook soit aussi nerveux. Il s’attend probablement à voir débarquer le grand et séduisant Kim Namjoon et appelle au secours son ami en dégainant son regard de faon affolé.

Mais ce n’est pas cela. Il s’agit de l’autre cause. Celle qui rend Jungkook nerveux : les lycéennes !

Une marée de jeunes filles se précipitent vers la librairie, se bousculent et rient fort.

“Dling, dling, dling”

Taehyung n’attendait que cela pour raccrocher.

— J’ai des clients. Au revoir, Monsieur Bang. Oui, c’est cela. Au revoir.

Taehyung secoue sa tête pour remettre ses cheveux en place, lisse sa chemise du plat de la main et sourit.

Jungkook se replie dans les rayonnages, espérant passer inaperçu.

Les jeunes filles sont généralement timides et discrètes lorsqu’elles viennent seules et saluent Jimin à l’aide de bonjours rougissants. Mais, en groupe, c’est une autre histoire ! Elles sont hardies et effrontées. Les ricanements de leurs camarades les encouragent à être plus audacieuses encore.

Jimin est beau et séduisant, mais froid et distant. Les filles ne parviennent jamais à le faire rire. Les premières fois, elles se vexent de son indifférence polie, puis s’en désintéressent. Généralement. Elles lui préfèrent le chaleureux patron qui s'amuse de leurs enfantillages et joue le jeu.

Elles dépassent Jimin et se bousculent pour rejoindre le comptoir. Elles minaudent auprès de Taehyung, réclament un livre, en commandent un autre, le complimentent sur ses cheveux, sa chemise ou ses nouvelles bottines. Taehyung parade.

Une d’entre elles aperçoit Jungkook dans les rayonnages et donne un coup de coude complice à sa camarade. Elle sort un agenda de son sac qu’elle laisse traîner au sol et trottine avec son amie agrippée à sa jupe vers le pauvre Jungkook qui ne sait jamais comment se débarrasser de ses admiratrices. Il cède aux demandes : un petit dessin, une signature, une photo.

Jimin s’en amuserait s’il n’était pas lui-même aux prises avec la plus intrépide du groupe. Elle l’appelle par son prénom et s’étonne de son apparence. Elle s’avance pour toucher ses cheveux et rit, faussem*nt gênée, lorsque Jimin fait un pas de côté pour éviter son contact. Jimin se dit qu’il n’a pas de chance : il a hérité de la plus bornée du groupe. Elle ne se laisse pas démonter et oblige Jimin à l’accompagner en rayon pour tel ou tel ouvrage qu’elle achètera effectivement. Lorsque Jimin se voit contraint de grimper sur le petit escabeau, il sent les yeux de la jeune fille l’examiner de haut en bas. Il déteste cela.

“Dling dling”

Jimin voit entrer une autre volée de lycéens. Des garçons, cette fois-ci. C’est samedi. Rien de plus ordinaire. Ils filent droit sur le présentoir des fanzines. Ils discutent brièvement avant de se diriger vers le comptoir en ignorant les filles qui, pour certaines, se poussent d’un air agacé ou dédaigneux. Il faut dire que Taehyung les délaisse pour encaisser les jeunes garçons.

Jimin rejoint Taehyung, la lycéenne sur ses talons. Il dépose la petite pile de livres et lui offre un sourire de convenance avant de lui annoncer que le patron va s’occuper de l’encaissem*nt. Il se prépare à voler au secours de Jungkook.

“Dling dling”

Le voilà.

Kim Namjoon entre d’un pas décidé. Il se débat avec son parapluie qu’il a du mal à replier.

— Aïe, laisse-t-il échapper lorsqu’il se pince avec le mécanisme.

Jimin retient à temps un “Tout va bien ?”. Le cœur de Jimin s’emballe. Il sent que ses joues sont plus chaudes. Il détourne le regard.

Il laisse enfin son pépin dans le porte-parapluie élégant, près de la porte d’entrée. Il lève les yeux vers les personnes présentes et croise le regard de Jimin. Un immense sourire illumine son visage.

— Bonjour, dit-il simplement en s’avançant vers le comptoir.

Le brouhaha s’estompe à mesure que les jeunes gens reconnaissent le client qui vient d’entrer. Les dos se redressent, les jupes sont lissées, les sacs ramassés. Les adolescents reprennent l’attitude convenable qui est attendue d’eux dans l’enceinte de leur établissem*nt. Ils s’inclinent poliment en guise de “bonjour”.

Jimin pense que le statut d’enseignant suffit à obtenir ce genre de comportement. Il se refuse à admettre que c’est tout simplement lié à la personnalité de Namjoon.

— Professeur ? fait la jeune fille qui importunait Jimin quelques minutes plus tôt.

— Mademoiselle Seo ?

— Au sujet du devoir pour lundi, je sais bien que vous avez dit que… mais…

Un concert de murmures irrités accompagnés de mouvements d’humeur interrompent un court instant la lycéenne.

— Hyeon-jin ! protestent des garçons.

Elle n’en a cure et poursuit. Son professeur la regarde, affable. Jimin ne comprend pas où il peut puiser un tel degré de patience et de bienveillance.

— Professeur, il faut vraiment faire le commentaire de texte en français ?

— Si tu avais été attentive, tu l’aurais entendu, confirme Namjoon.

— Mais c’est la première fois qu’on lit du Baudelaire !

Namjoon sourit et pose une main rassurante sur l’épaule de son élève. Jimin se surprend à fixer le professeur. Il a été avalé par ses pensées quelque part entre les fossettes et le regard empreint de gentillesse de l’homme qui parle avec tant de bonhomie. Jimin s’ébroue, se gratte la nuque, ne s’aperçoit pas qu’il est lui-même observé attentivement par son meilleur ami. Jimin s’inquiète de Jungkook.

— Paul se fera un plaisir de t’aider. C’est sa langue maternelle, répond Namjoon calmement en désignant du menton le garçon qui râlait le plus fort.

— T’es pas possible, Hyeon-jin ! Tu n’aurais rien dit, on aurait pu rendre le devoir en coréen. Tu l’as fait exprès ! Admets-le, s’emporte le garçon. C’est encore pour te taper l’incrust chez moi !

Les adolescents quittent par petit* groupes la librairie, leurs achats sous le bras. La clochette tintinabulle en continu.

Paul attrape Hyeon-jin par la manche et l'entraîne vers la sortie. La jeune fille baisse la tête et rougit en trottinant à la suite du jeune garçon.

— Merci. Au revoir, messieurs. À lundi, professeur, salue-t-il poliment avant de s’élancer sous la pluie.

La lycéenne échappe à son camarade, fait quelques pas en arrière, agite sa main en direction de Jimin et lui sourit. Elle tire ensuite la porte avec force derrière elle. La clochette proteste.

“DLING, DLING”

Taehyung s'assoit sur un tabouret haut derrière le comptoir, soupire d’aise.

— Je crois que j’ai encore fait un bon chiffre !

Il a l’air satisfait.

— Je venais pour le livre.

Namjoon pointe la pile soigneusem*nt réagencée par Jimin. Il retient son impatience et son excitation.

Taehyung tutoie le professeur Kim Namjoon bien qu’il soit son aîné et un client. Il est comme ça, Taehyung. Il a décidé, un jour, qu’il l’avait à la bonne ce grand échalas. Il l’a annoncé à Jimin, un matin ensoleillé, en arrivant à la librairie. Il a collé le gobelet de café encore brûlant dans les mains de Jimin et lui a dit :

— Ce soir, on dîne avec Namjoon. C’est notre nouvel ami.

Lors du fameux dîner, dans un restaurant français où Taehyung avait ses habitudes, Jimin est resté sur la réserve. Il a écouté ces deux hommes se trouver des points communs, des intérêts identiques totalement loufoques ou barbants. Jimin ne s’est pas senti bien. Il n’a rien eu à dire. Pas de loisirs ou de carrière à partager, pas d’amis ou de connaissances communes.

À la suite de ce dîner, Jimin a refusé toutes les autres invitations. Jimin se sent mieux chez lui, à regarder pour la énième fois Her ou Le Secret de Brokeback Mountain.

Le professeur Kim Namjoon est un mystère aux yeux de Jimin. C’est mieux ainsi.

Jungkook le lui a bien reproché, une fois. Ils auraient pu en savoir plus sur Kim Namjoon, le professeur de littérature le plus en vue du Lycée Français de Séoul.

— Monsieur Introverti me fait la leçon, maintenant ! a rétorqué Jimin.

Jungkook et Jimin se sont boudés quelques heures, puis, n’y tenant plus, Jungkook a fait le pitre. Jimin ne résiste jamais longtemps aux singeries de son petit mulot.

— Tu crois que je lui plais ? s’est inquiété Jungkook.

— Comment tu pourrais lui plaire ? Il t’a à peine vu ! Tu te caches et murmures plus que tu ne lui parles ?

— Non, c’est pas ça que je voulais dire… tu crois qu’il est comme nous ? a insisté le plus jeune.

— Comment ça, comme nous ? Tu veux dire beaux, séduisants, intelligents, normaux…

— Gay ! Je veux dire gay ! s’est énervé Jungkook.

— D’après Taetae, c’est le cas, confie Jimin. Mais je ne vois pas ce que tu lui trouves à cette grande perche ! a ajouté Jimin.

— Justement, il est super grand ! et baraqué ! Et tu as vu ses cuisses ? s’est enthousiasmé Jungkook.

— Non, je n’ai pas vu ses cuisses, a menti Jimin. Mais, franchement, vous n’avez rien en commun ; c’est pas à ses cuisses que tu vas faire la conversation…

Jungkook a soulevé un sourcil coquin.

— Argh ! Tu m’énerves ! a conclu Jimin en lui lançant un coussin.

Voilà. Jimin pense sincèrement que Jungkook a le béguin pour quelqu’un qui ne lui conviendra pas. D’ailleurs, Jimin se demande qui peut bien se trouver des atomes crochus avec un tel phénomène.

Ce que ni Jungkook ni Jimin ne voient ou ne comprennent, ou plutôt choisissent d’ignorer, ce sont les efforts désespérés de Namjoon pour attirer l’attention de Jimin et lui être agréable. C’est une remarque obligeante par ci, un sourire par là, un billet pour un spectacle “offert en plus” laissé sur le comptoir à son intention.

En revanche, Taehyung n’en perd pas une miette. Et le manège de ce duo timide et réservé quand il s’agit de Namjoon l’agace au plus au point. Taehyung se demande parfois comment il pourrait se débarrasser finement de Jungkook qu’il ne voit que comme un obstacle au bonheur de son meilleur ami. Il réfléchit aussi à la manière dont il va montrer à Jimin à quel point il fait fausse route sur Namjoon. Taehyung se fait l’impression d’être le nouveau Machiavel. Il adore !

— Tu sers Namjoon hyung. Je prends ma pause.

Taehyung ne laisse pas le temps à Jimin de réagir. Il a déjà passé la porte vitrée de l’arrière-boutique pour aller “en griller une”. Jimin le regarde un temps. Un raclement de gorge timide le rappelle à son devoir. Il se retourne vers Namjoon qui lui sourit. Au même moment, un rayon de soleil se faufile à travers les nuages gris, la vitrine, la boutique pour terminer exactement sur le profil du professeur.

“Comme de fait exprès !”

Jimin soupire.

“Oui, l’homme est beau, et alors ?”

Il sourit à Namjoon en retour. Un sourire qu’il voudrait faux ou emprunté pour marquer une distance.

— Tu voulais ?

Namjoon pose l’ouvrage sur le comptoir et demande en pointant l’affiche que Taehyung vient de scotcher sur la vitrine :

— Le concours commence vraiment lundi ?

— Oui, répond-il simplement.

Jimin scanne le livre et encaisse Namjoon. Il sent les yeux de Taehyung dans son dos. Il se retourne. Taehyung lui adresse un clin d'œil à travers le carreau de la porte de service. Jimin se retourne précipitemment.

— Merci. Et, pour le concours, je dois déposer les lettres chaque jour ? Ou toutes d’un coup ?

— Comme tu le souhaites.

Taehyung a toujours des idées originales pour donner vie à sa boutique : inviter des auteurs à lire des passages de leur livre, faire venir une troupe de comédiens pour les plus jeunes lecteurs, organiser une exposition d'œuvres en lien avec un roman…

Cette fois, il a obtenu une séance de dédicace et une lecture de Jung Hoseok. Il n’en est pas peu fier ! Il se vante même de la manière dont il a harcelé Min Yoongi des heures durant, un dimanche, lors d’une partie de golf. Non pas qu’il connaissait particulièrement bien Min Yoongi, non, ils se croisaient juste souvent parce qu’ils fréquentaient le même club. Ils avaient peut-être partagé quelques heures de cours avec le même professeur mais rien qui ne puisse en faire des amis. Seulement Taehyung n'en a eu cure. Il est ainsi, Taehyung. Alors, ce fameux dimanche, il a suivi Min Yoongi sur le green, a joué de son charme, a usé la patience de sa proie et a obtenu ce qu’il souhaitait.

Pour attirer encore plus de lecteurs - c’est l’excuse qu’il sert sans se lasser à Jimin - il a organisé, en sus, un concours : les lecteurs, à la manière du livre de Jung Hoseok, doivent écrire sept lettres à leur meilleur ami, ou à un ami imaginaire. Le gagnant repartira avec un bon d’achat de 1 000 000 KRW. Jimin s’est étouffé à l’évocation de la somme et a dit à Taehyung qu’il était, encore une fois, dans l'exagération la plus totale ; un bon d’achat de 100 000 aurait largement suffi !

Jimin pense lire en Kim Namjoon comme dans un livre ouvert : C’est ce concours et l’idée de la pile de livres avec laquelle il pourra repartir qui exaltent le professeur Kim Namjoon ! Sans doute aussi la perspective de lire le livre, rencontrer l’auteur et les protagonistes, écouter l’écrivain…

Jimin se retient de danser d’un pied sur l’autre. Namjoon ne part pas. Il se sent toujours observé d’un air goguenard par Taehyung. Il aperçoit aussi Jungkook, dans un coin de la boutique, qui dévore le professeur des yeux.

Il en vient à souhaiter le retour des lycéennes.

— Je… bafouille Namjoon. Je voulais te demander…

“Et, merde !”, pense Jimin.

Il encourage pourtant Namjoon du regard. Plus vite il aura dit ce qu’il a à dire, plus vite il sera parti.

— Oui ?

— J’ai deux billets pour Midnight in Paris . Le Propaganda le repasse ce soir…

Jimin connaît bien ce petit cinéma d’Arts et essais. C’est même son cinéma préféré.

Quant à Midnight in Paris , il l’a déjà vu. Sans aller jusqu’à dire qu’il a adoré le film, il l’a bien aimé. Bon d’accord, il pourrait adorer ce film si Taehyung ne lui avait pas passé en boucle, en le mettant sur pause pour commenter chaque scène et chaque lieu où il aimerait aller !

— C’est un bon film, admet Jimin.

— Est-ce que tu voudrais m’accompagner ?

“Voilà, on y est !”

Le cœur de Jimin s’emballe. Il se fustige intérieurement. C’est stupide et incompréhensible. Très malvenu même. Il pense à mille à l’heure. Comment se sortir de cette situation ?

Un livre tombe dans les rayonnages. Jungkook s’excuse, rougit et s’excuse encore.

Le visage de Jimin s’illumine. Il a une idée.

— Oh ! Je suis désolé. Je ne peux vraiment pas ce soir.

— On…

Il ne laisse pas le temps à Namjoon de rajouter que “Ce n’est pas grave, qu’ils pourraient y aller demain”.

— Mais, attends. Jungkook ? appelle-t-il d’une voix charmeuse.

Jungkook se fige. Il fait deux pas hésitants vers son ami, s’arrête. Jimin l’appelle de nouveau de son ton le plus doux.

Namjoon est surpris. Ses yeux naviguent de Jimin au jeune homme rouge écarlate qui avance vers eux.

— Oui ? demande Jungkook.

— Je te présente mon ami, Jungkook. Il pourrait t’accompagner. Ce serait dommage de perdre tes places. Et il est libre, justement, ce soir.

Jimin est assez fier de lui. Il vient, selon lui, de faire d’une pierre deux coups : non seulement, il évite de se retrouver en tête à tête avec ce Namjoon qui le met si mal à l’aise, et il aide son petit mulot.

Jungkook pique un fard.

Une ombre passe sur le visage de Namjoon.

Puis, soudain, il sourit de nouveau.

— J’ai deux places pour le cinéma, ce soir. Ça te dirait ?

Jimin a un pincement au cœur. Il s’empresse de refaire une pile de papier déjà merveilleusem*nt bien rangée. C’est grotesque à quel point cet homme provoque des sensations inacceptables !

Namjoon est un être gentil. Jimin le sait déjà. Évidemment qu’il fait tout pour que Jungkook se sente à l’aise.

Et Jungkook accepte.

Jimin est jaloux.

— À ce soir, donc. À lundi, Jimin, fait le professeur en se dirigeant vers la sortie.

Namjoon est parti sans son parapluie. Jimin fixe l’objet abandonné.

— Qu’est-ce que tu attends pour courir derrière lui et le lui rendre ? dit la voix enjôleuse de Taehyung.

Jimin sursaute.

“Fichue habitude de surprendre les gens par derrière !”

Jimin hausse les épaules et s’apprête à s’engouffrer dans les rayonnages pour faire mine de s’affairer. Taehyung le retient par la manche.

— Alors ? Rendez-vous ce soir ?

Jimin voudrait s’agacer, s’énerver et envoyer balader Taehyung une bonne fois pour toute. Mais non. Une toute petite voix à deux doigts de fondre en larmes répond à sa place :

— Oui, Jungkook a enfin son rendez-vous tant attendu.

Taehyung a l’air de s’être pris une porte en plein nez. Il jette un œil courroucé à Jungkook qui enfonce les mains dans ses poches. Jungkook regarde Jimin avec des yeux trop grands et trop affolés.

— Je rentre à la maison, Jimin hyung. Tu veux que je cuisine quelque chose pour après le travail ?

— Toi ! fait Taehyung menaçant.

Jungkook s’enfuit, la clochette de la porte d’entrée bondit, sursaute, tressaille. Pour peu, elle fuirait bien avec le jeune homme.

“Dling, dling, dling, dling”

Taehyung retourne son air furibond sur Jimin.

— Bravo ! Tu t’es encore débrouillé pour poursuivre ta vie d’ermite !

Taehyung l’énerve. Taehyung lit trop bien en lui. Taehyung le prive de ses remparts.

Les larmes sont déjà presque là.

Jimin dégage sa manche des doigts de Taehyung.

Jimin va cacher ses sanglots et sa lâcheté parmi les livres.

Chapter 3: L'opportunité

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

La chambre de Jimin est comme un cocon.

Avant l’arrivée de Jungkook, il avait déjà choisi la plus petite des deux. Jimin ne se sent bien que dans les petites pièces.

Cette pièce, il laisse peu de monde y pénétrer. Parce que c’est son refuge. Parce que ce serait trop se révéler.

Jungkook respecte cela.

Taehyung, lui, s’en moque.

Il a choisi des couleurs tendres pour les murs : du gris souris et un vieux rose. Il y a peu de meubles mais un grand lit sur lequel il est étendu telle une étoile de mer. Il s’enfonce dans les draps en gaze de coton blanc et les nombreux coussins aux tissus de différentes textures mais tous vraiment très doux.

Taehyung s’est moqué une fois :

“Tu comptes nidifier ?” a-t-il ri.

Cela s’est fini en bataille de polochons.

Pour chevet, il a choisi une petite table ronde assez grande pour accueillir un globe lumineux, son téléphone et une pile de livres qui n’en finit jamais de grandir.

Au sol, sur le parquet de bois blond, s’étalent tapis et vêtements.

Jimin n’est pas très ordonné. Du moins, il ne l’est plus. Il a laissé cette partie de sa personnalité avec ses chaussons de danse, dans un coin poussiéreux.

Pas de miroir. Mais des dizaines de cartes postales, des cadres contenant les affiches de ses films préférés.

Non pas de miroir. Longtemps, regarder ce corps qui l’avait abandonné, qui avait divorcé de lui, lui a été insupportable.

Jimin se laisse porter par le silence de sa chambre et le néant visuel de son plafond. Aujourd’hui, il n’a plus l’impression qu’il va descendre sur lui jusqu’à l’étouffer. Le plafond, aujourd’hui, n’est plus qu’un plafond.

Jimin soupire, s'assoit, attrape le tube de crème hydratante sur son chevet. Le baume parfumé, qui s’écrase dans sa paume, le fait frissonner. Lorsqu’il l’étale délicatement, puis plus franchement, sur ses jambes, il ne fond pas en larmes. Ses jambes ne sont plus des jambes de danseur. Il s’est résigné.

Il se laisse de nouveau tomber sur son lit, bras écartés. Un souffle, presque un rire s’échappe de ses lèvres. Il se sent bien ; cela faisait longtemps.

A tâtons, il cherche son livre. Sa paume tapote la couette.

“Pat, pat, PAF !”

La couverture et la tranche sont encore lisses. Il soulève le bouquin et le porte à bout de bras. Ce livre l’intrigue aussi. Lorsqu’il tourne la première de couverture, le papier craque légèrement. Jimin aime ce son.

“À mon frère, Yoongi

Nous nous connaissons depuis sept ans à présent. La première fois que nous nous sommes rencontrés, j’étais affreusem*nt intimidé. Alors je suis resté planté là, dans un coin de ton salon, au milieu de tous ces gens impressionnants. Puis tu es venu me parler et as essayé de me faire rire. Je me suis senti moins bizarre et ma présence à cette fête m’a parue moins saugrenue.

Je ne peux pas oublier ce moment. C’est un souvenir indélébile.

Tout droit débarqué de Gwangju, sans rien connaître ni personne, je me sentais seul. Tu es rapidement devenu indispensable à ma vie. Quand j’étais malade, tu étais là. Quand j’étais découragé ou triste, tu étais là. Quand j’étais fatigué et que le sort s’acharnait, tu m’as donné la force de me redresser et tu m’as poussé à être fier de moi. Lorsque j’ai dévalé les escaliers la tête la première, le jour où j’ai enfin signé un contrat, la première personne que j’ai vu à mon chevet, à l’hôpital, c’était toi.

Je ne te l’ai jamais dit - ou mal - mais je t’en suis reconnaissant, infiniment reconnaissant. Et plus je passe de temps avec toi, plus je t’apprécie.

Avec ce livre, je le déclare haut et fort, et espère offrir une forme d’éternité à notre amitié improbable.

Merci d’être le plus grognon et le plus incroyable des frères. Que tu sois toujours à mes côtés.

Je t’aime, frérot !”

En lisant la dédicace du livre de Jung Hoseok, Jimin sourit. Il lâche le livre, s'assoit en tailleur et pianote sur son téléphone.

— Tae, fais-moi une déclaration ! 🥹

— Je me suis acheté des sous-vêtements en dentelle. 🥰 Tu veux voir ?

— 😤 T’es le pire des meilleurs amis !

— Vraiment ? Tu veux pas ? 🥹

— À demain ! 😑

— Je t’aime moi aussi, Mimi 🩷😉

Jimin rit franchement maintenant. Taehyung a probablement acheté ces sous-vêtements, et il en est très certainement monstrueusem*nt fier.

Il replonge dans le livre. À plat ventre sur son lit, les pieds battant l’air doucement, il ne se doute pas le moins du monde qu’une double tragédie est en train de se dérouler.

À l’autre bout de la ville, Jungkook est à l’agonie. L’homme de ses rêves est séduisant et il sent monstrueusem*nt bon. Mais Jungkook ne parvient pas à lui parler. La séance de cinéma l’a soulagé brièvement, mais maintenant, le nez plongé dans son milkshake banane pépites de chocolat, il se sent dépourvu. Pire encore, les papillons, qui dansaient la gaillarde dans son ventre, se sont fait la malle. Jungkook n’a rien à dire à Namjoon. Et pourtant ce dernier s’efforce d’être affable. Mais justement, Jungkook a le sentiment que Namjoon se donne trop de mal pour qu’il se sente bien. Il n’y a rien de spontané. La paille entre les lèvres, Jungkook en pleurerait presque d’avoir perdu si rapidement son “big crush” comme l’appelait Jimin. Et, pour être tout à fait honnête, Jungkook sent qu’il y a un truc entre son ami et le professeur. Jungkook a toujours été très intuitif. Il peste intérieurement de s’être si longtemps énamouré d’un homme qui n’a d’yeux que pour Jimin.

Dans le même temps, Taehyung, assis sur son immense tapis de salon très-épais-et-moelleux-à-souhait, dont il est monstrueusem*nt fier (comme de ses sous vêtements en dentelle car, Taehyung est toujours farouchement satisfait de ses coups de coeur), exulte. Il a trouvé comment arriver à ses fins ! Il se laisse tomber en arrière, les bras écartés, les mains ouvertes. Un gros cri de victoire lui échappe.

— HA ! Je suis génial !

Le lendemain matin, Jimin n’entend pas Jungkook ; la cuisine est étrangement silencieuse, la musique ne ronronne pas dans le salon. Aucun bruit. Il est sorti tôt pour aller courir, sans doute. Jimin, lui, le dimanche, il aime paresser au lit. Il se réveille et s’étire comme un chat. Il laisse les rayons du soleil lui caresser le visage, le cou, les bras, et son ventre dénudé par l’agitation de la nuit. Et ces caresses lui rappellent celles dont il se prive depuis trop longtemps. Jimin ferme de nouveau les yeux et laisse errer sa main sur son torse encore chaud d’un sommeil bienheureux. Ses doigts effleurent et courtisent la peau sensible.

Jimin aime s’oublier entre ses mains le dimanche matin.

“Toc, toc”

Jimin grogne.

Jungkook ne frappe que rarement à sa porte. Il tire sa couette sur lui d’un geste agacé. Il ravale sa frustration et s’assoit.

— Oui ?

— Hyung ? Je peux entrer ?

À peine Jimin a-t-il acquiescé qu’une boule de sueur et de larmes fond sur lui. Jimin est déstabilisé. Jungkook pleure souvent. Jungkook est un être sensible dans un corps de guerrier. Mais Jungkook ne devance jamais les inquiétudes et les interrogations de Jimin. Il attend toujours les premières questions de Jimin pour laisser ses pleurs déborder.

— Qu’arrive-t-il à mon petit mulot ? fait Jimin en caressant les cheveux de son ami.

Jungkook s'assoit. Il tient ses pieds nus des deux mains et laissent des mèches de cheveux fous lui masquer les yeux. Il hoquète encore.

— Je suis désolé. Pardon, hyung.

Jimin ne comprend pas. Il pose ses mains sur celles de Jungkook pour l’encourager à parler.

— Désolé de quoi ?

— De t’avoir volé ton rendez-vous.

Jimin commence à comprendre.

— Tu ne m’as rien volé du tout…

Jungkook sanglote de nouveau. Jimin attire sa tête contre son torse.

— Chutttt… cesse de raconter n’importe quoi.

Jungkook se dégage et prend son air farouche. Celui qu’il se donne lorsqu’il veut paraître plus “adulte” mais ne lui donne qu’un air plus enfantin et adorable encore.

— C’est un extraterrestre ! Je ne le comprends pas !

— Ha ! Voilà, nous sommes d’accord.

— Tu vois, il était là, avec ses épaules, son parfum, ses fossettes… et ses cuisses ! Oh, mon dieu !

Jimin lève les yeux au ciel comme si tout ce que disait Jungkook, lui, il ne l’avait pas remarqué. Comme si lui n’était pas désarmé également par cette petite liste d’atouts du professeur de français.

— Mais tu vois, poursuit Jungkook, il parlait, il parlait, et puis ça a fait PSCHHHHTTTTT !

Jungkook mime une fuite de gaz. Jimin pouffe.

— Bien heureux que ce ne soit pas à un moment plus inapproprié que ton désir ce soit fait la malle !

Jungkook le regarde avec de grands yeux humides.

— Ça t'est arrivé, à toi ? Le PSCHTTTTTT ?

Jimin se gratte l’arrière de la tête. Il tente de se souvenir. Il y a longtemps qu’il n’a pas ressenti de désir pour qui que ce soit. Plus longtemps encore qu'il ne s’est pas laissé approcher et toucher. Non, il n’a pas ce genre de souvenir.

— Plus que je veux bien l’avouer, ment-il pour consoler Jungkook.

— Ça craint !

— Ce n’est rien…

Jimin bascule sur Jungkook.

— Ippon ! rit-il en l’écrasant de tout son poids.

Jungkook rit à son tour. Jimin ne pèse rien et il le repousse avec une facilité déconcertante.

— Hyung, tu es nul au judo.

— Mais je suis un bon hyung. Je t’invite au brunch d’aujourd’hui.

Jungkook se cache les yeux de ses bras. Il souffle.

— Je voudrais bien rester avec toi. Mais…

— Mais quoi encore, grand nigaud de mon cœur ?

— Taehyung ne m’apprécie pas.

— Taehyung est une bizarrerie sur pattes. Tu viens.

Jimin est déjà debout à farfouiller dans ses vêtements. Jungkook roule sur le côté pour l’observer. Il hésite. Il se lance.

— Hyung, tu sais…

— Quoi ? fait Jimin en posant sur son torse une chemise rose, puis une bleu ciel. Laquelle ?

— La bleue. Tu sais, Namjoon hyung, c’est un chic type.

Jimin fourrage de nouveau dans ses affaires pour trouver un pantalon.

— Possible…

— Tu devrais accepter une de ses invitations… une fois…

— Je vais me doucher, coupe Jimin sans laisser à Jungkook l’opportunité de mieux s’exprimer.

Jungkook se laisse tomber dans les coussins de Jimin. Ça sent bon dans le lit de Jimin. C’est doux et réconfortant. Ce n’est pas comme les mots. Jungkook déteste les mots. Ils lui mènent la vie dure. Ils ne sortent jamais comme il faut.

Sous la douche, Jimin s’active. Les paroles de Jungkook le perturbent, l’importunent. Il se frictionne sans douceur, une première fois, avant de se rincer. L’eau est chaude, coule et roule sur ses muscles. C’est dimanche matin.

Tu devrais accepter une de ses invitations… une fois…

Jimin sent le parfum du professeur Kim Namjoon. Jimin sent les yeux doux de Kim Namjoon sur lui. Jimin sent les longues mains de Namjoon glisser le long de ses cuisses.

C’est dimanche matin. Jimin aime s’oublier entre ses mains le dimanche matin.

Notes:

Au judo, le ippon s'obtient lorsque l'adversaire tombe largement sur le dos (plus de la moitié) avec force, vitesse et contrôle ou lors d'une immobilisation de 20 secondes.

Chapter 4: Le concours

Chapter Text

Il fait encore presque nuit quand Jimin ouvre le rideau métallique du Petit Paris. Le grincement du store et le petit vent froid qui prend l’avenue pour un couloir de nage le font frissonner.

Jimin allume les lumières et l’ordinateur de la boutique en fredonnant Run Through Fire. Lorsqu’il se sent d’humeur légère, Jimin aime écouter Pink Sweat. Il a alors le sentiment que la journée est faite pour lui.

Lorsqu’il sort et descend les deux marches pour déposer le paillasson “Bienvenue” orné d’une tour Eiffel, il lève un instant les yeux vers le lycée et se demande si le professeur est à la photocopieuse ou déjà dans sa salle de cours. Il se donne une tape sur la joue et se houspille.

— Tu rêves, Park Jimin.

En entrant de nouveau dans la boutique, il s’accroupit pour ramasser les enveloppes qui s’étalent à ses pieds. Taehyung devrait vraiment installer une boîte aux lettres plutôt que de s’obstiner à conserver cette fente à courrier. Jimin ne trouve pas que cela fasse plus “authentique”. Il trouve juste pénible de devoir se baisser chaque matin pour rassembler les lettres éparpillées au sol.

Aujourd’hui, il y a plus de courrier que d’ordinaire. En retournant vers le comptoir où l’attend son gobelet de café, Jimin comprend.

“Haaaa ! C’est le début du concours…”

Il commence à faire le tri : près de la caisse, le courrier ordinaire, et, devant lui, la vingtaine de participations. Jimin observe les enveloppes et les écritures qui s’y déploient. Jimin fait partie de ces personnes persuadées que l’écriture d’une personne est révélatrice non seulement de sa personnalité mais aussi de son état d’esprit.

Alors qu’il fait défiler les enveloppes simples et blanches et les pochettes plus épaisses en craft, il se surprend à essayer de deviner quelle est celle de Kim Namjoon.

Il se secoue alors de nouveau, abandonne les enveloppes et s’apprête à porter l’ongle de son pouce à la bouche pour le ronger. Il se retient de justesse. Jimin ne se ronge plus les ongles depuis six mois déjà ; c’est une grande victoire. Et, de plus, hier, après le brunch, Taehyung lui a fait une manucure. Prétexte fallacieux, selon Jimin, pour l’avoir sous son emprise et le faire parler.

En repensant au brunch, Jimin porte l’ongle de son pouce à la bouche.

Ce dimanche avait plutôt bien commencé. Jimin avait réussi à emmener Jungkook jusqu’au restaurant où il avait rendez-vous pour le brunch avec Taehyung. Il était déjà attablé avec la jolie Danielle qui paraissait minuscule entre son fiancé et l’immense Jin. Jungkook a soupiré, attrapé Jimin par la manche pour le tirer en arrière. Jimin l’a ignoré et l’a entraîné jusqu’à la table où ils ont été assez bien accueillis ; c’est-à-dire que Taehyung s’est abstenu de toute pique envers le pauvre Jungkook et lui a même proposé de s’assoir à l’exact opposé de la table. D’abord, Jungkook a gardé le nez plongé dans son mug de chocolat chaud jusqu’à ce que Taehyung ne se réveille tout à fait ; ce qui, selon Jimin, n’augurait rien de bon.

— Namjoon n’a finalement pas pu se joindre à nous, a-t-il soudain dit en fixant Jimin. C’est dommage, hein, Jiminie ?

Jungkook s’est raidi, a pâli comme si une balle perdue avait sifflé en passant tout près de son oreille.

Jimin a maudit intérieurement Taehyung.

“Le bougre ! Il ne va pas mettre ça sur la table maintenant ?”

— Vous le fréquentez ? a demandé Jin.

Jimin ne savait pas si l’acteur était réellement intéressé par la réponse ou s’il cherchait seulement à faire la conversation.

Quoi qu'il en soit, Taehyung a été ravi de la question.

— Je suis un animal social ! a-t-il rétorqué, fier comme un coq.

Danielle a pouffé avant d’épousseter des miettes imaginaires sur l’épaule de son fiancé.

— Ah oui ? n’a pu s’empêcher de rétorquer Jimin, moqueur. Et comme tout animal social, tu te préoccupes de la cohésion de ton groupe d’amis car notre survie et notre reproduction en dépendent ?

— Voilà ! Tout à fait ! Je pense énormément à ta survie et à tes possibilités de repr…

Jimin n’a pas laissé Taehyung terminer sa phrase ; il lui a lancé un coup de pied bien senti dans le tibia. Mais Taehyung ne s’est pas laissé déstabiliser si facilement.

— Et comment était ce rendez-vous avec le professeur, hier soir, Jungkookie ?

Taehyung n’appelle jamais Jungkook, “Jungkookie”. Il a pris ce ton doucereux pour obtenir les informations qu’il mourrait d’envie d’avoir. Jimin lui a alors adressé un regard sévère. Taehyung s’est renfrogné.

Jungkook s’est accroché au bord de la table et a appelé Jimin au secours du regard.

— Je ne comprends pas, chéri, est intervenue Danielle. Tu ne m’as pas dit que Jimin avait un gros faible pour Kim Namjoon ? C’est bien de lui dont vous parlez ?

Jimin n’a pas eu le temps de nier.

— Intéressant, a murmuré Jin.

— Tout à fait, jagiya, a répondu Taehyung avec beaucoup d’emphase à sa fiancée. Tu te doutais, toi aussi, Jimin, que ça allait faire flop, a-t-il ensuite ajouté sur un ton de reproche en se retournant vers son meilleur ami. Si tu l’aimais tant que ça, ta montagne de muscles, tu ne l’aurais pas laissée prendre ta place !

Jimin savait que c'était vrai. Jimin s’en voulait un peu.

“Jungkook n’aurait jamais réalisé que Namjoon n’était pas une personne pour lui sans ça” a-t-il pensé.

— Comment le sais-tu que ça ne s’est pas bien passé ? Jungkook est un garçon extraordinaire. N’importe qui aurait de la chance de sortir avec lui ! s’est emporté Jimin.

Taehyung n’a pas mis les formes comme chaque fois qu’il est bien trop franc. La réprobation a dû se lire sur le visage de Jimin car Taehyung a perdu un peu de sa gouaille. Mais pas suffisamment pour le faire taire.

— Parce que le professeur et toi, vous vous tournez autour depuis des siècles ! Et parce qu’il a décliné l’invitation ce matin juste après que tu écrives sur le chat du groupe que tu venais avec lui, a-t-il répondu en pointant Jungkook.

— Rappelez-moi votre âge ? a ironisé Jin de plus en plus amusé par cette bataille entre chien et chat.

Jimin a senti la colère l’envahir. Il pouvait y avoir une tonne de raisons pour lesquelles le professeur avait changé d’avis. Mais, au fond de lui, Jimin sentait bien que Taehyung voyait juste.

Il s’apprêtait à rétorquer vivement quand l’inénarrable Jin a raconté une de ses blagues qui lui a valu les regards blasés de ses amis. Jungkook s’est étouffé de rire avec son lait. Des petites larmes ont roulé le long de ses joues que l’acteur s’est empressé d'essuyer avec la serviette en papier déjà constellée de miettes de croissant.

— En voilà un garçon intelligent ! s'est exclamé Jin.

Jimin a remercié silencieusem*nt l’acteur de détourner si habilement ainsi la conversation.

“Cet homme est mille fois plus perspicace qu’il ne le laisse paraître !” a pensé Jimin.

De fil en aiguille, Jin et Jungkook ont monopolisé la parole en se trouvant tant et tant de points communs que c’en est devenu gênant et que Jimin a ressenti une pointe de jalousie.

Pour finir, Jin a embarqué Jungkook avec lui pour lui montrer son “équipement”.

En entendant ce dernier mot, Taehyung a retenu son hilarité en se mordant les lèvres. Jimin a entendu ce que pensait Taehyung aussi clairement que s’il avait fait son jeu de mot coquin à haute voix. Il lui a fait non de la tête.

“N’ose même pas ! Tu en as assez fait !”

— On peut même tester le dernier Starcraft !

Jungkook est parti sautillant au bras de Jin, laissant Jimin seul avec le couple. Mais Danielle apprécie moyennement Jimin. Elle trouve que Jimin a souvent l’air de la juger. Elle se sent stupide près de lui et préfère la compagnie de ses copines. Après avoir embrassé son fiancé, elle lui a donné rendez-vous pour le soir même et s’est éclipsée. Taehyung s’est alors tourné vers Jimin, un air machiavélique sur le visage.

— À nous deux, mon poussin !

***

“Dling dling”

Jimin sursaute et cesse de se ronger l’ongle. La sonnette l’a sorti de ses pensées.

Voilà Taehyung. Il est d’humeur joyeuse, lui aussi, ce matin. Il semble avoir oublié les anicroches de la veille. Il passe la porte en déroulant son écharpe et un immense sourire illumine son visage.

— Bonjour ! C’est une belle semaine qui commence !

Pour toute réponse, Jimin lui rend son sourire et lui tend le gobelet bien chaud de thé au citron qu’il lui a acheté en chemin.

Jimin non plus ne peut rester fâché longtemps avec son meilleur ami. Il a le sentiment que Taehyung ne connaît pas les limites de ce que peut faire et dire un ami ou non. Il en est même convaincu. Comme si l’intimité n’était qu’une chose vague et floue pour lui. Combien de fois Jimin a-t-il dû lui dire qu’il allait trop loin ? Combien de fois Jimin a-t-il dû lui répéter également qu’il ne tenait pas à tout savoir au sujet de Danielle et lui ?

Pourtant - et c’est certainement parce que Taehyung respire la candeur et l’empathie - Jimin ne lui en veut pas. Il a bien essayé, une fois ou deux, d’avoir une conversation mature avec lui à ce sujet. Malgré la bonne volonté de Taehyung, rien n’a changé, comme s’ils venaient de deux planètes différentes, comme si leurs arguments respectifs résonnaient dans le vide.

Alors, quand on aime Taehyung comme Jimin l’aime, à quoi bon s’embarrasser de ressentiment ?

Taehyung accroche son pardessus de laine gris, pose son menton sur l’épaule de Jimin et lui chatouille le cou du bout du nez. D’une main élégante, aux ongles bien polis, il attrape le gobelet.

— Nous avons vraiment beaucoup de participation.

— Mmmm, chantonne seulement Jimin qui le regarde faire son tour habituel parmi les rayonnages.

— Ce devrait être plutôt calme cette semaine, lui lance Taehyung depuis le fond de la boutique. Je n’ai programmé aucune animation.

Jimin ne l’écoute que d’une oreille. Il ouvre le courrier et trie les factures. Si la semaine est effectivement calme, il pourra rencontrer la comptable et faire le point. Avant que Taehyung ne “recueille” Jimin - ce terme avait le don de l’agacer, au début, mais, à présent il l’aime bien - les comptes de la boutique étaient très fantaisistes. Mme Pyong, l’experte comptable, n’a de cesse de remercier Jimin pour son sérieux. Il est probable que son travail se soit indubitablement simplifié car Jimin est un homme responsable et pointilleux. Taehyung, sans trace d’humour aucune, lui avait dit qu’il ferait un excellent père de famille. Il ne s’était pas aperçu à quel point ce compliment avait pu blesser Jimin. Jimin adorerait devenir père un jour. Mais son pays lui laisse peu d’espoir à ce sujet.

Taehyung se rapproche et fait mine de remettre de l’ordre sur un rayonnage. Jimin l'aperçoit en train de l’observer par-dessus son épaule.

— Ça tombe bien ; j’ai plusieurs rendez-vous avec des éditeurs. Je vais être débordé.

Taehyung sirote son thé, l’air content de lui. Jimin est une proie facile. Il ne sent pas le piège se refermer doucement sur lui.

— Je vais avoir du mal à lire les participations au concours… c’est dommage…

Jimin lève enfin la tête vers son meilleur ami. Il est perplexe. Cette idée était pourtant la sienne. Pourquoi la lancer en sachant qu’il ne pourrait pas l’honorer ?

— Tu vas bien trouver un peu de temps le soir et entre tes rendez-vous, le rassure Jimin. Je ne vois pas comment tu pourrais annuler ou reporter le concours maintenant.

Taehyung est à présent au comptoir, les coudes bien campés, le visage entre ses deux mains. Si Jimin était aussi fantasque que Jungkook, il aurait pensé que Taehyung était un vampire pour se déplacer si vite, sans un bruit. Peut-être l’est-il car des petit* frissons lui parcourent l’échine à être observé ainsi.

— Quoi ? ronchonne Jimin.

— Je me disais que…

Jimin prend une grande inspiration. Cela ne fait pas un quart d’heure que Taehyung est là que les complications font déjà leur apparition.

— Tu te disais ? répète Jimin avec un ton presque menaçant.

Taehyung ne se laisse pas déstabiliser. Il tend un bras au-dessus du comptoir et pousse la pile de lettres vers Jimin. Jimin fait non de la tête. Il a compris.

— Tu as aussi bon goût que moi. Peut-être un peu trop émotif, mais quand même un excellent lecteur.

— Kim Taehyung, n’emploie pas la flatterie avec moi, prévient Jimin.

— Tu es mon meilleur ami… depuis toujours…

— Ne joue pas sur les sentiments !

Le téléphone de la boutique vibre sur le comptoir. Avec un sourire mutin, et un clin d'œil, Taehyung décroche.

— Monsieur Bang, que me vaut le plaisir ?

— Nous n’en avons pas fini avec cette conversation, marmonne Jimin.

Alors que Taehyung fait les cent pas en répondant sans variation aucune aux sollicitations quotidiennes de M. Bang, Jimin tente de replonger dans les factures. Il pianote sur le logiciel de compte. Mais son esprit est ailleurs. Il va devoir lire ces lettres. Il ne sait pas trop s’il en a envie. Non, franchement, il aimerait occuper son temps libre autrement. Pour être honnête, il n’a pas pris la peine de lire le flyer où se trouve le règlement du concours ; il ne sait même pas ce qui est attendu des participants.

— Je file !

Taehyung attrape ses vêtements, colle un baiser sur la joue de Jimin, et s’envole déjà vers la porte d’entrée.

— Hé ! proteste Jimin.

— Laisse les comptes ! Commence à lire les participations au concours. À ce soir !

Taehyung, dans la rue, sifflote. Il jubile. Jimin est un homme sérieux et responsable. Il lira ces lettres. Il lira ce que le professeur Kim Namjoon a écrit. Il se rendra alors enfin compte qu’ils sont les deux moitiés d’une même orange.

Jimin croise et décroise ses jambes. Il est nerveux. Il a un mal fou à se concentrer sur les lignes et les colonnes de chiffres. En décroisant ses jambes une énième fois, il se donne un coup.

“Quel maladroit” pense-t-il en se massant le tibia.

“Dling dling”

Jimin lève la tête, pas mécontent qu’un client vienne le distraire un peu. Le soleil, au même moment, fait une percée, traverse la vitrine et termine son chemin dans l'œil du jeune homme. Il cligne des yeux et n’aperçoit alors qu’une silhouette élancée et imposante.

— Bonjour, fait une voix chaleureuse.

Jimin reconnaît le timbre du professeur Kim Namjoon. Il se lève pour ne plus avoir le soleil dans les yeux et rendre le bonjour à l’habitué.

Namjoon vient directement au comptoir. Il marche d’un pas assuré puis ralentit avant de poursuivre son chemin jusqu’à Jimin. Il dépose une grande enveloppe couleur ivoire. Une enveloppe comme celle qu’on trouve dans les sets de papier à lettres de très bonne facture. Jimin se retient de la toucher, de faire courir la pulpe de ses doigts sur le grain du papier pour en éprouver la qualité.

— Il n’est pas trop tard ?

— Pardon ?

— Je veux dire, il n’est pas trop tard pour donner la première lettre du concours ?

— Non. Non, absolument pas.

Jimin prend l’enveloppe des deux mains. Le toucher est incroyable. Il est certain que le papier est mélangé à du coton. Il s’étonne. Non, il n’est pas étonné que le professeur ait de tels goûts. Elle rejoint la pile des autres participants.

Namjoon ne bouge pas. Jimin ne sait quoi lui dire. Il n’a aucune commande en cours, aucune nouveauté n'est arrivée en boutique. Il n’évoquera certainement pas l’invitation et Jungkook. Jimin est nerveux ; son cœur s’emballe, de petit* pincements agacent son ventre sous le nombril, ses pommettes brûlent.

— Comment va Jungkook ? demande le professeur d’une petite voix.

“Et merde !” pense Jimin. “Nous y voilà.”

— Bien. Plutôt bien. Il t’a trouvé très gentil.

— Ha… moi aussi… je suis désolé…

Jimin le regarde et se demande de quoi il peut être désolé. Jungkook n’a cessé de dire combien Namjoon avait été prévenant. Jimin encourage malgré lui Namjoon du regard. Il se fustige dans la seconde de ne pas parvenir à garder une distance avec tout cela.

— Il a passé une bonne soirée…

— Je n’ai pas cette impression. Je suis désolé… j’ignorais qu’il…

— Je dois finir ces comptes, coupe Jimin, nerveux, en pointant l’écran de l’ordinateur. Je te laisse faire un tour.

Jimin sourit aussi bien qu’il le peut à Namjoon. Il ne veut pas en entendre plus. Le professeur approuve d’un mouvement de tête, se frotte le bras droit, puis pointe la rue du doigt.

— Je vais plutôt y aller. Bonne journée, Jimin.

Jimin lui rend son salut, poliment. Il est assez fier de parvenir à parler sans trémolos dans la voix. De dos, Namjoon semble se voûter, un peu. C’est très subtil mais Jimin est sensible au langage corporel. Des restes de son passé de danseur étoile, probablement. Rien à voir avec de l’empathie ou des sentiments pour cet homme qui lui fait à présent penser à un manchot empereur.

“Dling dling”

Namjoon fait un dernier signe de main auquel Jimin répond par un sourire. Lorsqu’il disparaît enfin de son champ de vision, Jimin s’affaisse sur le fauteuil derrière le comptoir. Il le fait tourner. Un tour, deux tours, trois tours.

Bouger pour ne pas penser. Un mouvement répétitif pour chasser les pensées. S’occuper pour s’oublier.

Les comptes sont terminés, la librairie parfaitement en ordre, et aucun client ne vient rompre le silence feutré de la boutique. Jimin soupire et abat sa main sur la pile de courrier du concours.

“Quand il faut, il faut…”

La première lettre semble être écrite par une très jeune personne. La graphie est aussi maladroite que la tournure des phrases. Quelques erreurs assez grossières se font remarquer ici et là. Jimin est attendri. Il lit alors une seconde puis une troisième. Au bout de la cinquième, il se fait la remarque qu’il lui faudrait prendre des notes, du moins se faire un tableau, pour garder en mémoire ce qu’il a lu et tenter de rester objectif.

La journée défile ainsi jusqu’au retour de Taehyung. La pluie tombe de nouveau à verse et il s’ébroue à l’entrée de la boutique. Sa mine est moins lumineuse que ce matin. Jimin se dit que sa journée n’a pas dû être si facile. Ils n’en parlent jamais ensemble, mais Jimin sait que Taehyung affronte de nombreux obstacles pour maintenir sa librairie à flot. Jimin est redevable envers Taehyung de lui avoir offert un emploi mais aussi l’occasion de sortir de son isolement. Il lui est aussi reconnaissant de lui épargner bon nombre de soucis. Toutefois, en tant qu’ami, il aimerait que Taehyung le voit comme autrement que l’homme à protéger de tout. Il aimerait que son meilleur ami voit également en lui une épaule sur laquelle se reposer. Alors Jimin tend les bras et Taehyung vient s’y réfugier sans mot dire.

— Dure journée ?

— Pas tant que ça… Des clients aujourd’hui ?

Jimin secoue la tête en signe de dénégation. Les boucles de Taehyung lui chatouillent le bout du nez.

— Quelques habitués pour des commandes ou juste flâner le temps d’une averse…

— Je le savais que ce serait une journée calme.

Le pardessus de Taehyung goutte sur les chaussures de Jimin, l’humidité commence à traverser son petit pull et sa chemise. Il le repousse gentiment. Taehyung a le regard fixé sur la pile de lettres décachetées.

— J’imagine que tu n’as pas pris le temps de déjeuner ?

Jimin ne répond pas. Il est effectivement seize heures. Il n’a pas vu le temps passer et la faim ne le torture pas. Il pouvait jeûner plusieurs jours de suite, avant. Taehyung attrape le manteau de laine de Jimin et lui tend son bonnet.

— Viens, on ferme la boutique. Je t’invite au café.

Pendant que Jimin s’habille, content de sortir un peu, Taehyung attrape un des tote bags de la boutique, y flanque sans ménagement les lettres, celles ouvertes comme les deux laissées de côté, ainsi que le tableau de Jimin.

— Tu vas terminer ce soir ? demande Jimin, bien naïf, en descendant le rideau grinçant de la boutique.

— Non, comme on termine tôt, tu pourras le faire.

Jimin résiste à l’envie de serrer, de ses petites mains douces et sans callosités, le cou de son meilleur ami enfoui sous une écharpe. Mais, dans une main, il a déjà le sac et, dans l’autre, la main de Taehyung.

Chapter 5: Les lettres de Rkive

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Jimin est ravi de rentrer chez lui ; la nuit tombe tôt et la dernière averse s’est transformée en déluge. Il laisse choir ses vêtements froids et humides à ses pieds depuis la porte d’entrée jusqu’à sa chambre. Il s’étonne qu’il n’y ait pas de Jungkook pour le gronder et lui rappeler l’utilité des patères et des paniers à linge sale.

En boxer au milieu de sa chambre, l’étonnement laisse place à la déception. Pas de musique de fond, de petite voix qui chantonne, de fumet d’un petit plat simple qui envahit toutes les pièces.

Il retourne dans le salon pour fouiller dans son jean à la recherche de son portable. Pas de message non plus. Jimin, frustré, se laisse tomber mollement sur le canapé en se disant qu’il va aller se doucher très vite. Mais il scrolle sur les réseaux sociaux, lit ses messages et le temps file. Il fait à présent très sombre dans son appartement, et les lumières de la ville font danser des ombres sur ses murs.

Jimin pousse un long grognement, bat des pieds comme s’il voulait assommer une créature invisible.

— Jeon Jungkook, tu découches sans avertir ton hyung ? 🧐

La réponse ne tarde pas. Jimin observe les trois petit* points de sa messagerie qui clignotent. Il attend la réponse avec impatience.

— Hyung aurait-il faim ou besoin de moi pour ses lessives ?

“Arghhh ! Il m’énerve ce gosse !” pense Jimin.

Jungkook vise assez juste. La vérité est plus subtile cependant. Jimin n’aime plus être seul chez lui. Et, la présence de Jungkook, son babillage, sa joie de vivre, lui éviterait de penser… de penser à des tonnes de choses… comme les deux lettres à lire… ou bien à l’un de ses rédacteurs.

Jimin boude. Avachi dans le canapé, il laisse reposer son téléphone sur son ventre plat. Il joue avec les petit* replis de peau, ceux qu’il qualifie de bourrelets, ce qui ne manque jamais de faire exploser de rire Jungkook. Jimin sait qu’il n’est pas gros. Il est même très mince. Mais, parfois, son corps svelte et finement musclé de danseur lui manque. Son nombril s’illumine d’une lumière bleutée alors que la vibration du téléphone provoque un gloussem*nt.

— Tu boudes Mimi-ssi ?💔

Jimin s’empresse de taper sa réponse, maintenant assis en tailleur, le buste bien droit.

— Absolument pas ! Je m’inquiète pour mon dongsaeng qui n’a pas pris la peine de me dire que tout allait bien.

— Vraiment ? 😏

— Oui, vraiment ! 🤨

— Je t’ai laissé une salade de radis, du riz et des oeufs brouillés à la tomate au frigo 🥰

Jimin a un peu honte mais il est ravi que Jungkook ait pensé à lui.

— Et tu es au centre d'entraînement ?

— Non, je suis avec Jin hyung. On fait une soirée jeux. 🎮 Tu veux venir ?

Jimin n’a aucune envie de sortir de nouveau. Il faudrait s’habiller, affronter l’obscurité, la pluie, le froid… les rires improbables de l’acteur. Et les jeux vidéos ne sont pas franchement sa tasse de thé.

— Non, c’est gentil. Merci.

J’ai un peu de travail ce soir.

Sois sage, Jungkookie.

Ne vide pas les réserves de ton nouveau hyung favori.

— Sois pas jaloux mon petit hyung adoré de mon cœur. À demain. Ne m’attends pas. 🩷

Jimin sourit et s’agace à la fois. La réponse est à moitié sarcastique et il le sait. Il se sent mieux, pourtant. Suffisamment pour se traîner jusqu’à la douche sans oublier de laisser tomber son boxer au milieu du couloir. Il ne va pas jusqu’à penser que c’est une petite vengeance pour l’avoir laissé seul ce soir sans avertissem*nt, mais l’idée facétieuse lui effleure l’esprit.

Jimin savoure le plaisir de s’étendre totalement nu sur son lit, détendu par une douche chaude. Depuis qu’il partage son appartement avec Jungkook, il fait en sorte de porter un minimum de vêtements. Mais, un soir, comme celui-ci, il se dit pourquoi pas. Il hésite à s’habiller pour dîner devant une émission de divertissem*nt. Il se laisse aller à s’étirer et à ne penser à rien, à rien d’autre qu’à l’air qui effleure sa peau, au délice des draps sur son corps nu.

Depuis tout petit, Jimin promène avec lui un double raisonnable et raisonneur. Il voudrait bien s’en débarrasser parfois. Surtout, là, maintenant que son sexe gonfle doucement contre sa cuisse. Et sa main est chaude et douce du baume dont il s’est enduit le corps dans la salle de bain toute embuée.

“Tu devrais finir ta corvée. Demain, il y en aura encore une vingtaine d’autres. tu vas te laisser déborder”

Jimin pousse un râle. Il s’assoit sur le bord de son lit et s’adresse à son membre délaissé.

— Juré ! Je m’occupe de ce fichu concours et je reviens à toi. Hmmm ? Tu vas patienter ?

Jimin avale sans trop de plaisir le repas que Jungkook lui a laissé. L’émission est insipide et stupide. Il remerciera tout de même son benjamin parce que les plats sont certainement bons ; c’est juste lui qui est ennuyé et ne sait pas apprécier.

Il éteint la télévision et regarde un temps les vêtements abandonnés. Il les ramasse un à un en prenant son temps. Sa petite voix intérieure l’agace en lui disant qu’il recule le moment de s’y mettre, que, d’habitude, il n’a aucun scrupule à tout laisser au sol.

Il est déjà dix heures. Jimin renverse le contenu du tote bag sur son lit et retrouve les deux lettres non lues. Il commence par celle dont il ne connaît pas l’auteur. Le style est ampoulé, sans émotion, Jimin ne s’y attarde pas et griffonne rapidement dans son tableau.

Il ne reste plus que la participation de Namjoon. Comme il en avait eu envie, plus tôt dans la journée, il fait courir la pulpe de ses doigts sur le papier. Il est granuleux mais doux. Jimin porte la feuille à son nez. Le parfum est subtil mais il y est. Jimin n’aime pas les odeurs trop fortes. Ce papier sent juste assez pour séduire son odorat. Une odeur de talc peut-être, légèrement boisée. C’est doux et rassurant. L’écriture est belle sans être prétentieuse. Il y a quelques ratures et taches d’encre. Le professeur écrit au stylo plume. Le bleu de l’encre tire sur l’indigo. Jimin trouve cela joli.

Jimin s’effondre sur le dos, la lettre sur le visage.

‘Il faut lire, allez…”

Jimin tend les bras au-dessus de ses yeux. C’est inconfortable. Ses bras tirent.

Cher PJ,

Il est rare qu'un livre ait un impact aussi profond sur mon esprit que celui de Jung Hoseok. C'est comme si chaque mot avait été soigneusem*nt choisi pour résonner avec les émotions qui sommeillent en moi. En découvrant ces pages, j'ai été frappé par la manière dont l'auteur parvient à exprimer des sentiments complexes avec une simplicité désarmante.

Cette lecture m'a ramené à un moment de ma propre vie où j'ai dû faire face à des défis qui me paraissaient insurmontables. Je me suis souvenu de ces instants où la lumière semblait vaciller dans l'obscurité, où mes pas semblaient hésiter sur le chemin incertain de l'existence. C'est à ce moment-là que tu es apparu, tel un phare dans la tempête.

[...]”

Jimin roule sur le ventre et aplatit un coussin sous son menton. Il est absorbé par les mots de cette lettre. Il lui semble que ce n’est pas une lettre écrite pour un concours. Il lui semble que cette lettre lui est adressée. Jimin oublie comment il a tenu à distance le professeur Kim Namjoon, la plus grande menace sur son chemin depuis des lustres.

Jimin s’endort sur les mots de Namjoon. Les mots reviennent dans son rêve et il entend la voix du professeur comme s’il discutait avec lui. Jimin s’enroule autour de son coussin. Dans son rêve, des bras costauds à la peau de miel l’attirent contre un torse chaud, familier et sécurisant. Jimin frissonne. Il se réveille. Il a froid au-dessus de ses couvertures. Il a froid tout seul.

La journée du lendemain se déroule comme la veille. Le rituel est semblable. Taehyung disparaît pour quelques heures. Il y a toutefois deux différences notables. Ce mardi matin, Jimin a ramassé une lettre de plus. Kim Namjoon n’est pas entré dans la boutique pour la laisser. La seconde différence est que Jimin n’a pas eu le temps d’y penser. Les clients sont plus nombreux. C’est ainsi. Les clients arrivent parfois par bans, envahissent la boutique et lui donnent vie et disparaissent ensuite pour un temps indéterminé.

Ce soir, lorsque Jimin rentre à la maison, il a réussi à lire et prendre des notes sur toutes les lettres. Il en a gardé une seule de côté. Taehyung est étrangement silencieux à propos du concours. Jimin sent bien que quelque chose se prépare. Il se dit que Taehyung a de grosses préoccupations et que, peut-être, il est sur le point de céder à M. Bang. Mais, quelque part, cela l’arrange. Ainsi, il n’a pas à parler de ses sentiments à propos du concours, et surtout à propos de ce que peut écrire le professeur. Ce qu’il éprouve est incertain, devient un peu trop vivace. Il ne se sent pas prêt à le partager.

Sur le palier, lui parviennent des bruits de son appartement. Jimin sourit. Jungkook est là. Alors qu’il tape son code, une voix s’esclaffe. Les épaules de Jimin tombent. Jungkook a ramené avec lui l’acteur au beau visage mais à la présence sonore envahissante. Jimin est accueilli par une petite bombe sautillante.

— Hyung, Jimin hyung ! s’écrie Jungkook en se pendant à son cou. Tu ne devineras jamais !

Jungkook le lâche enfin et secoue sous ses yeux un maillot de foot du PSG.

— Alors ? C’est génial, hein ?

Jimin ne comprend pas. Il enfile ses pantoufles et entre chez lui. Il salue l’acteur d’un mouvement de tête. Celui-ci se lève et lui serre la main chaleureusem*nt.

— Merci de m’accueillir chez toi pour la soirée. C’est un sacré match, ce soir.

— De rien, répond Jimin, puis se tournant vers Jungkook, il murmure entre ses dents : je n’étais pas au courant.

Jungkook se fige un instant puis sautille de nouveau sur place et agite encore plus près du visage de Jimin le maillot.

— Kook, j’ai compris ! C’est un super match !

— Mais non ! Enfin si ! Regarde bien !

Jungkook tend le tee-shirt et montre une inscription au feutre noir indélébile. Un autographe. Devant le peu de réaction de son ami, Jungkook s’impatiente.

— C’est un autographe de Lee Kang-in ! C’est un ami de Jin hyung. Jin hyung me l’a fait rencontrer ce midi.

Tout pétulant, Jungkook se pend, cette fois au cou de Jin qui peine à le repousser. Jimin trouve intéressante la manière dont les oreilles de l’acteur virent à l’écarlate en partant de la pointe pour aller jusqu’au lobe. Puis la familiarité de Jungkook l’interpelle. Il est à présent sur les genoux de l’acteur. Jimin hausse un sourcil inquisiteur, tend son index vers eux et balaye l’espace allant d’un visage à l’autre. L’un pourpre, l’autre cramoisi.

— Vous deux… vous deux… vous ?

Jungkook se relève précipitamment, essuie ses paumes sur son jean et entraîne Jimin vers leur petit coin cuisine.

— Tu veux de la pizza, Jimin hyung ? Une bière ?

Il s’active en tous sens et ouvre le tiroir à couverts pour chercher un verre.

— Jungkook ? Kookie ? Tu n’as rien à me dire ?

Jungkook passe par toutes les couleurs, soupire, croise ses mains derrière sa nuque, dansant d’un pied sur l’autre. Pieds qu’il étudie avec minutie.

— Je… enfin… c’est tout récent…

— Un crush en balaie un autre, fait Jimin sans trop réfléchir.

Jungkook réagit et s’emporte.

— Non ! C’est différent ! Je suis bien avec… On est bien… Jimin-ssi ! Arrête de me taquiner… tu sais, ça fait longtemps… poursuit-il d’une voix plus douce.

Jimin comprend. Pour lui aussi, ça fait longtemps. Longtemps sans complicité, sans intimité partagée, sans être privilégié. Jimin pince les joues de Jungkook, attrape une part de pizza et se dirige vers la salle de bain.

— Tu ne regardes pas la finale avec nous ?

Jimin pouffe.

— Tu m’as déjà vu m’intéresser au foot ?

Jungkook secoue la tête de droite à gauche, l’air un brin déçu.

— Et pas de cochonneries sur mon canapé ! crie Jimin depuis la porte de la salle de bain.

Jimin a juste le temps de voir Jin s’étouffer avec une gorgée de bière et d’entendre Jungkook grogner de gêne.

Jimin se douche rapidement. Il se brosse les dents, la tête déjà ailleurs. Il enfile un peignoir, rejoint sa chambre, tire l’enveloppe de son sac, s’installe confortablement parmi ses coussins.

Avant de commencer à lire, il caresse de nouveau le papier et le porte jusqu’à son nez. L’odeur est la même. Il l’espérait.

“Cher PJ,

Certains souvenirs d'enfance restent gravés dans nos mémoires, comme des étoiles scintillantes dans un ciel sombre. Récemment, la lecture du roman de Jung Hoseok m'a replongé dans ces moments précieux de mon passé, où l'innocence régnait en maître et où chaque journée était une aventure à découvrir.

Je me souviens encore de ces après-midi ensoleillés passés à explorer les recoins secrets de notre quartier. Seul, le plus souvent. Mais je ne ressentais aucunement ce sentiment désagréable de solitude qui m’envahit aujourd’hui trop souvent. Les rires des enfants résonnaient dans les ruelles étroites, et mon cœur battait à l'unisson, plein de curiosité et de joie. Ces souvenirs sont comme des trésors enfouis dans les profondeurs de mon esprit, attendant d'être redécouverts et chéris une fois de plus.

Je t'invite à revisiter tes propres souvenirs d'enfance, à les voir sous un nouvel éclairage, comme des pierres précieuses qui brillent d'un éclat renouvelé. Parfois, dans les tourments de la vie adulte, nous oublions la magie simple et pure de notre jeunesse. Mais en retournant à ces moments simples et authentiques, nous pouvons retrouver une part de nous-mêmes que nous pensions perdue à jamais.

Je te souhaite de retrouver ton enfant intérieur, à embrasser la spontanéité et l'émerveillement du passé, et à trouver la lumière dans les coins oubliés de ton âme et de ta mémoire.

Sincèrement,

Rkive”

Jimin ne s’aperçoit pas tout de suite que de petites larmes roulent le long de ses joues. Il se demande pourquoi le professeur signe ainsi. Ce nom lui dit quelque chose mais il ne parvient pas à mettre le doigt dessus.

Des cris tonitruants fusent du salon. Jimin sursaute.

— BUUUUUUUUUUUUUTTTT !!!

Jimin entend Jungkook trottiner. Il est certain qu’il fait sa danse de la joie autour du canapé. Jimin sourit en pensant à lui.

Il replie avec délicatesse la lettre du professeur et la range dans le tote bag. Il ne prend pas la peine de remplir le tableau. Comment oublier de telles lettres ?

Il soulève un pan de sa couette et se faufile sous ses draps. Il éteint sa lampe de chevet. Sur le dos, les bras le long du corps, il écoute la vie qui se déroule dans son salon. Comme il aimerait rejoindre le camp des vivants lui aussi.

Les paupières lourdes, Jimin finit par s’endormir. Dans son rêve, il porte sa marinière préférée et sa salopette. Il entend le bruit du ressac et sa mère crier.

Notes:

Lee Kang-in, né le 19 février 2001 à Incheon, est un footballeur international sud-coréen évoluant au poste d'ailier au Paris Saint-Germain.

Chapter 6: Les lettres de Rkive (suite)

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

“Ne t’éloigne pas trop du bord, mon grand !”

Dans son rêve, Jimin est heureux. Le sable est chaud et doux sous ses orteils. Ça chatouille aussi. Les petit* grains scintillent au soleil comme mille pierres précieuses. La plage est son coffre au trésor.

Dans son rêve, Jimin pleure. Ses parents divorcent. Sa maman divorce de lui. Il ne la verra plus.

“Appa est là, mon bonhomme. On fait une jolie petite famille, non?”

Jimin pleure et une voix chaude et tendre lui souffle à l’oreille.

“La lumière et la joie sont enfouies en chacun de nous. Si tu le veux bien, donne-moi la main. Je t’aiderai à les trouver.”

Lorsque son réveil sonne, Jimin pleure encore. À gros sanglots. Il voudrait des bras qui le serrent fort et le contiennent, pour ne pas s’envoler, pour ne pas disparaître.

Jimin oublie les rituels du matin. Il va travailler pour revenir avec une nouvelle lettre. Ce mercredi soir, il passe près de Jin et Jungkook qui se chamaillent sur le canapé. Il les voit à peine. Il ne traîne pas sous la douche et oublie de dîner.

Jungkook a fait la “grande lessive”. Il a changé ses draps. C’était un accord du début de leur cohabitation. Une fois dans la semaine, Jungkook passe draps, serviettes et même tapis à la machine. Jimin ne l’a jamais vu comme une intrusion. Jungkook le fait toujours discrètement et très respectueusem*nt. Jimin laisse alors les draps propres et frais l’engloutir. Sous un de ses oreillers, il trouve une peluche à l’apparence d’un chat calico. Un petit papier est roulé sous son collier de soie rouge.

“Mimi-ssi, je suis nul avec les mots. Alors, ça, c’est pour toi. Et dis-moi, si tu as besoin de quelque chose. Tu es tout bizarre ces derniers jours.

Ton petit mulot”

Jimin trouve aussi qu’il pleure trop ces derniers temps. Il tire les petites oreilles et frotte ses pouces sur le velours rose et doux. Les bras de Jungkook sont sûrement occupés. Jimin soupire et pose le chaton bien assis sur son oreiller, près de lui.

Il ouvre la troisième lettre du professeur avec un mélange inextricable de crainte et d’impatience.

Il ne l’a pas vu aujourd’hui non plus. Il s’est surpris à fixer la porte d’entrée de la petite librairie, à guetter sa clochette, à roder près de la vitrine au moment de la sonnerie de la fin des cours.

Son cœur bat la chamade, ses mains tremblent. Il ramène ses pieds sous ses fesses, prend une grande inspiration et plonge dans les mots de Namjoon.

“Cher PJ,

Il y a des moments dans la vie où les rêves semblent distants, presque inatteignables, mais c'est précisément dans ces instants que nous devons redoubler d'efforts et continuer à croire en leur réalisation. Lettres à mon meilleur ami a ravivé en moi cette conviction profonde que les rêves valent la peine d'être poursuivis, même lorsque le chemin semble semé d'embûches.

Je me souviens encore du moment où j'ai ouvert ce recueil pour la première fois. Les mots de Jung Hoseok ont résonné en moi d'une manière indéfinissable. Ils m’ont évoqué des sentiments de détermination, d'espoir et de résilience. "Les rêves sont le moteur de l'âme humaine, la force qui nous pousse à transcender les limites de notre condition."

Je sais que tu as toi aussi des aspirations que tu as oubliées, enterrées. Des aspirations que tu chéris depuis longtemps, mais qui semblent parfois hors de ta portée. Rien n'est insurmontable tant que tu continues à croire en toi-même et en tes capacités.

N'abandonne pas. Même lorsque les obstacles semblent insurmontables, rappelle-toi que chaque défi est une opportunité de grandir, de t'épanouir et de devenir plus fort. Comme l'a si bien exprimé Park Seo-bo, "Dans chaque coup de pinceau, dans chaque trait de crayon, réside la promesse d'un avenir plus radieux."

[...]

Je crois en toi. Je crois en tes rêves, en ta force intérieure et en ta capacité à surmonter tous les obstacles qui se dressent sur ton chemin. Continue à suivre ton cœur, à poursuivre tes aspirations les plus profondes.

Près de toi, moi qui n’ose m'approcher plus

Rkive”

Jimin s’endort, la lettre froissée contre sa poitrine. C’est une nuit sans rêve. Une nuit reposante.

À son réveil, Jimin se surprend à souhaiter voir Namjoon. Il n’est pas venu ce mercredi. Ce n’est pas ordinaire. Le professeur lui manque.

“Il me manque !”

— Il me manque ?!!!

Jimin attrape son oreiller et s’enfouit dessous. Il pousse un cri, bien heureusem*nt étouffé, et bat des pieds faisant voler sa couette.

“Toc toc toc”

— Tout va bien ?

Jimin s’extirpe des draps, les cheveux ébouriffés, les joues en feu.

— Oui. Oui, répète Jimin plus fort.

— Dis, tu pourrais patienter deux petites minutes avant de sortir de ta chambre ?

— Pourq… Non, oublie, je ne veux pas savoir ! L’autre grand dadet a intérêt à être couvert quand je sors…

Pas de réponse. Jimin retourne sous la couette. Il se fait une caverne. Ça lui rappelle les cabanes qu’il faisait, petit, avec son jeune frère, dans le salon. Ils prenaient les draps, les nappes, les pinces à linge, et la maison vide de la présence de maman devenait une île pleine d’aventures.

Il extrait un bras et tâtonne à la recherche du chat en peluche.

“Pat pat pat”.

La queue entre ses mains, il le ramène à lui, le frotte à son nez. Peut-être qu’il pourrait se prétendre malade, et rester toute la journée au lit, à rêver des moments heureux évaporés et à ceux qui ne sont pas encore ? Mais Taehyung serait capable de venir l’extirper de son nid. Par les pieds si nécessaire.

— Pfffffffff ! souffle-t-il en rabattant la couette.

L’air frais s’engouffre dans ses poumons. Puis une odeur délicieuse de pain grillé.

— Jimin hyung, tu veux un café ?

Jimin sort prudemment de sa chambre. Pied droit d’abord, orteils tendus en avant. Plante du pied posée délicatement. Pied gauche.

“Quatrième position”, pense-t-il.

À leur petite table de cuisine est attablé Jin, dans la même tenue que la veille. Il a bonne mine malgré ses pommettes et ses oreilles rouges. Il salue timidement Jimin d’un hochement de tête.

— Tu es tout grâcieux, ce matin, hyung. Tu as bien dormi ?

Jimin rosit. Il aime qu’on le complimente sur son allure. Il se redresse, épaules en arrière, nuque droite. Il s’approche fièrement et s’assoit à la table du petit déjeuner.

La compagnie est agréable. Les langues se délient. Jimin est pimpant. Jusqu’à ce que Jin se sente tout à fait à l’aise.

— Tu me diras où tu as trouvé cet adorable caleçon à cœurs ? J’achèterai le même à mon lapinou d’amour.

Jungkook recrache son café. Jimin mime un haut le cœur.

— Je te bannis à tout jamais de chez moi ! réplique théâtralement Jimin.

— Hmmm… ça tombe bien. On part en week-end.

— En week-end ? Un jeudi ?

— Les stars n’ont pas le même rythme de vie, mon cher.

— Et ses entraînements ?

Jungkook suit l’échange comme on regarde une finale de Roland Garros, avant de comprendre qu’il est concerné.

— En week-end ? Mais j’ai athlé ce soir !

— Tu es malade.

— Absolument pas.

— Mon père te fera un certificat.

— Je suis pour l’intégrité.

— Tu n’auras jamais ta médaille d’or du 400m haies avec cet état d’esprit.

— Comme si…

Jimin rit sous cape et les laisse pour se préparer.

Une nouvelle journée l’attend.

Une nouvelle lettre.

“Cher PJ,

Parfois, il peut nous sembler que les ténèbres s'abattent sur nous avec une intensité déconcertante, et alors, chaque pas en avant est une lutte contre un courant déchaîné.

Je ressens le besoin de te partager une part de mon histoire, marquée par la perte et la résilience, dans l'espoir qu'il puisse t'apporter ne serait-ce qu'une lueur d'inspiration dans les heures sombres que tu traverses.

Il fut un temps où mes rêves se dessinaient sous les traits d'un rappeur, d'un artiste à part entière, jonglant avec les mots et les mélodies pour créer un univers qui serait le mien. Mais j’ai été éjecté de la voie qui me semblait toute tracée. C'était il y a plusieurs années, à l'époque où je naviguais encore sur mes idéaux, porté par l'ardeur de la passion et l'insouciance de la jeunesse. Un incident est survenu, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, ébranler les fondations de mes aspirations. Un incident dont je préfère ne pas étaler les détails ici, mais dont la violence et l'injustice ont écorché l'essence même de mon être, me reléguant brutalement aux marges de mon propre rêve.

Ce fut une période de deuil, où chaque note de musique semblait porter le poids de mes regrets, où chaque mot restait en suspens dans le vide de mes silences.

Pourtant, même dans les ténèbres les plus épaisses, une lueur d'espoir peut briller. C'est là que tu es entré dans ma vie, avec ta douceur, ta force et ta détermination. Tu as été la lumière dans mes nuits les plus sombres, la main tendue dans l'obscurité, m'invitant à croire en un avenir meilleur.

Être témoin de ton courage et de ta résilience ont été pour moi une source d'inspiration inestimable. À travers toi, j'ai appris que même lorsque le monde semble s'effondrer autour de nous, il y a toujours une autre route possible.

Je me surprends parfois à rêver que nous unissons nos forces et nos rêves, que nous prenons soin de nos blessures ensemble, pour avancer dans la vie et en faire le plus formidable des voyages.

Bien à toi,

Rkive”

Jimin n’a pas su attendre son retour à la maison. Il a expédié la lecture des autres lettres pour lire celle du professeur qui ne se montre pas.

Derrière le comptoir, il caresse le papier et les mots du regard. Il aimerait boire l’encre et s’y noyer. Il aimerait se faire une couverture des phrases qu’il y lit et s’y lover.

Jimin sent son coeur battre à un nouveau rythme. N’est-il pas vrai que le printemps se prépare en hiver ?

“Dling, dling”

Jimin sursaute. Il espère et dans la même fraction de seconde, il s’inquiète. Taehyung est là. Mais est-ce bien Taehyung cette ombre qui s’avance au ralenti, toute groggy ? Il le rejoint derrière le comptoir et laisse tomber sa tête sur l’épaule de Jimin.

Jimin hésite à le questionner.

Ne peuvent-ils pas être heureux ensemble, en même temps ?

— Jimin-ah, laisse-moi dormir avec toi cette nuit ?

Jimin a besoin de savoir. Il place une mèche folle de cheveux châtains derrière l’oreille de son meilleur ami.

— Monsieur Bang ? C’est ça ? Tu es obligé de céder.

Taehyung se redresse comme un beau diable.

— Ma librairie ? Jamais de la vie ! On se porte mieux que jamais ! Tu n’as pas vu notre chiffre d’affaires?

Jimin a dû le voir, si, en faisant le point avec la comptable. Il est vrai, maintenant qu’il gesticule en tout sens et proteste, qu’elle était exceptionnellement optimiste et ravie de la santé de la petite librairie. Mais, alors quoi ?

“Oh, mon dieu ! Danielle !”

Jimin se lève, attrape son ami qui virevolte en lançant des insanités à propos d’un vieux bedonnant sans aucun goût, lui plaque les bras le long du corps, le serre contre lui.

Taehyung, surpris, ne bouge plus. Tout juste ose-t-il respirer.

— Mon ourson à la guimauve à moi. C’est Danielle, c’est ça ? Encore une crise de jalousie épique ? Bien sûr que tu peux venir dormir à la maison.

Taehyung le regarde comme s’il venait de lui annoncer que les éléphants auraient désormais une deuxième trompe.

— Bah quoi ? s’impatiente Jimin.

La bouche de Taehyung s’étire en un immense sourire carré. Et le voilà qui virevolte à nouveau en produisant des sons qui doivent être des mots.

“Dling, dling”

Jungkook passe la porte sous le bras de l’acteur. Ils apportent avec eux une odeur de baguette toute chaude. Ils restent médusés, dans l’entrée.

— Qu’est-ce qu’il dit ? demande Jungkook à Jin.

Jin hausse les épaules.

— Pfft ! Aucune idée. Il a pété une durite. Faut dire qu’on ne laisse pas Lautréamont entre toutes les mains.

Jungkook regarde Jin comme si, lui aussi, venait d’être touché par la folie qui habite Taehyung. Comme cette hystérie collective qu’il a vu dans un documentaire, où des gens, au Moyen âge, s’étaient mis à danser sans plus s’arrêter jusqu’à ce que mort s’en suive. Il ouvre des yeux ronds suppliants à l’attention de Jimin.

— JE VAIS ÊTRE PAPA ! beugle Taehyung en grimpant sur le marche pieds.

— Et voilà qu’il nous refait Le Cercle des poètes disparus, commente Jin, peu impressionné.

— PAPA ? s’exclament soudainement les trois hommes en chœur.

Taehyung s’accroupit, prend sa tête entre ses mains. Il mime parfaitement la folie, se dit Jimin.

— C’est une bonne nouvelle, ça ? ose murmurer d’une toute toute petite voix Jungkook.

Et voilà Taehyung reparti dans sa danse folle.

— Oui, mais moi, je ne sais pas comment on devient papa ! Et s’il ne m’aimait pas, ce bébé ? Et si je ne l’aimais pas et que je le trouvais affreusem*nt laid ? Et si Danielle mettait au monde un autre Jean-Baptiste Grenouille ?

Jimin éclate de rire et il pleure en même temps. Taehyung a toujours rêvé d’être père. Danielle n’est pas la plus sympathique des personnes qu’il n’ait jamais rencontrées mais elle est aimante avec Taehyung, et Taehyung est heureux avec elle. Ils feront de bons parents… excentriques, certes… mais de bons parents.

— Et bien, vous l'appellerez Gaeguri. Kim Gaeguri* et puis voilà ! lance Jin avec emphase. Rien de plus simple.

Le reste de la journée de Jimin s’écoule entre les phases d’abattement et d’euphorie de Taehyung.

Il essuie une colère homérique quand il lui annonce que, finalement, non, ce soir, Taehyung rentrera chez lui pour fêter comme il se doit la bonne nouvelle.

Taehyung a peur. Taehyung veut Jimin à ses côtés.

Jimin hésite à lui dire que lui aussi a peur. Que quelque chose de nouveau et de beau grandit en lui. Mais aujourd’hui n’est pas son jour. Demain, peut-être.

Ce jeudi soir, Jimin a une douzaine de courriers à éplucher. Il est épuisé. Alors, comme il est seul dans son grand appartement, il s’installe sur le canapé et grignote des galettes de riz en lisant. Certaines lettres sont touchantes et belles. Il le reconnaît. Mais il a gardé pour la fin, celle du professeur qui a disparu de son quotidien.

Ce soir, il emmène la lettre de Namjoon avec lui, dans la salle de bain. Il allume des bougies et fait couler l’eau dans la baignoire. Il ajoute quelques sels de bain, et de la mousse. Il se plonge avec délice et ferme un instant les yeux.

L’enveloppe est plus légère que les précédentes. Namjoon aurait-il perdu son inspiration ? Aurait-il tout donné en seulement trois lettres ? Aurait-il des scrupules à mieux écrire que Jung Hoseok ?

Les doigts humides de Jimin laissent quelques auréoles sur le bord du papier. Il devient légèrement translucide. Mais Jimin n’y prête pas garde. Les mots sont simples et moins nombreux. Les mots ne sont plus une lettre adressée à un ami. Les mots sont une déclaration.

Jimin fond et se dissout comme ces petites perles de nacre qu’il avait, petit, dans le bain. Il aimait jouer avec ce qu’il appelait la “peau” alors que le contenu crémeux se répandait en douceurs parfumées dans l’eau du bain.

“À PJ,

Près de toi

C'est un chemin de délicatesse

que tu me montres.

Un voyage fait de vulnérabilités,

que je suis avec toi.

C'est un chemin de délicatesse,

que je suis,

du sourire de tes yeux

à la douceur de ta voix.

Un voyage fait de vulnérabilités,

que je suis avec toi.

Les larmes, les regrets, la colère

mettent en lumière la chaleur

qui ne demande qu'à s'exprimer.

Où va ton bateau sur cet océan déchaîné ?

Où ce navire te propulse-t-il dans l'univers ?

Où mènent tes pas dans cette jungle qu'est notre présent ?

C'est un chemin de délicatesse

que tu me montres.

Un voyage fait de vulnérabilités,

que je suis avec toi.

Chaque ralentissem*nt

Chaque petit caillou dans la chaussure

Chaque merveille qui croise notre chemin

Chaque minute où nous profitons du temps qui passe

Est un trésor ou un souvenir pour plus tard.

C'est le chemin qui est le plus doux

dans ce long voyage !

Je ne suis pas impatient

de voir la destination à l'horizon.

Aujourd'hui,

Reçois l’expression de mon affection

comme des lucioles qui

les passages sombres éclaireront.

Rkive”

Notes:

Isidore Lucien Ducasse, connu également sous le pseudonyme de comte de Lautréamont, est un poète français né le 4 avril 1846 à Montevideo en Uruguay et décédé le 24 novembre 1870 à Paris dans le 9e arrondissem*nt. Il est l’auteur des Chants de Maldoror (1868), considéré comme l’un des ouvrages précurseurs du mouvement surréaliste....

Jean-Baptiste Grenouille est le monstrueux personnage principal du roman Le Parfum de Süskind, il est doté d'une forte ambivalence, héros / anti-héros.

Gaeguri : grenouille en coréen

Chapter 7: Sincérité

Chapter Text

Les lèvres de Namjoon sont terriblement douces. Sur son coup-de-pied, sur sa cheville et à l'intérieur de son mollet. Jimin l’observe dans sa pérégrination, dévotion sensuelle. Namjoon croise le regard de Jimin et toutes les blessures s’étiolent. Son corps est un vaisseau, son corps est son lien avec l’homme qui le regarde avec tant de ferveur.

Le réveil sonne. Jimin presse ses paupières. Il veut retourner dans ce rêve. Mais l’alarme agaçante ne s’arrête pas d’elle-même. Jimin plonge sur son téléphone et fait cesser le bruit. Allongé, à plat ventre, seul dans son grand lit, il réalise à quel point il a besoin et envie d’être aimé et choyé. Il accepte que les bras et les mains qu’il désire soit celles de Namjoon. À son oreille, l’écrasant de tout son poids, il lui murmurait un “Bonjour, mon ange.”

Mais aujourd’hui, c’est vendredi. L’un des jours les plus intenses à la librairie. D’abord, il y a les livraisons. Puis les lycéens qui viennent faire le plein avant le week-end. Enfin, l’inventaire.

La somme des tâches qui l’attend suffit presque à rendormir cette partie de lui qui est affamée de caresses dont elle est si souvent et depuis si longtemps privée.

Jimin n’espère plus voir le professeur. Son instinct lui souffle que Namjoon l’évite. Alors que lui s’imagine être le destinataire des lettres.

“Pathétique.”

Ouvrir le rideau métallique, allumer les lumières et l’ordinateur, sortir et descendre les deux marches pour déposer le paillasson “Bienvenue” orné d’une tour Eiffel, déballer les colis arrivés tôt dans la matinée, s'accouder au comptoir et contempler la rue qui s’anime, un café chaud entre les mains qu’il sirote à peine.

Jimin fait tourner du bout de son index une des enveloppes du concours. Il n’a pas envie de les lire aujourd’hui. Une seule l’attire. Mais elle ne lui est pas destinée. Il a bien trop laissé courir ses fantasmes.

Taehyung n’arrive pas comme à son habitude, alors Jimin s’active seul. Il range, inventorie, enregistre, accueille. Il prend même le temps d’envoyer un message à Jungkook pour lui demander des nouvelles de son “week-end anticipé de star”. Il reçoit d’abord une photo des deux hommes sur un bateau de pêche. Puis un faux appel à l’aide.

— Hyung, viens me chercher ! 🆘 Jin hyung va me dégoûter de la pêche, des bateaux et du poisson.

Jimin commence à vraiment apprécier l’acteur. Il rend heureux son petit mulot.

“Dling, dling, dling, dling” s’agite la clochette peu après 15h. Taehyung fait enfin son apparition, les bras chargés de paquets, un sourire béat collé au visage.

Jimin se précipite pour l’aider et tout apporter derrière le comptoir. De la layette, des peluches, des biberons, des langes, et une foule d’autres objets aux couleurs douces.

— Super prévoyant ! s’ébaubit Jimin.

Taehyung se dandine et liste ce qu’il a acheté et ce qui lui reste à faire. Il a déjà réservé une place dans la meilleure maternité de Séoul, de “tout le pays voire du monde” ajoute-t-il. Il est intarissable et attendrissant.

Lorsqu’il cesse enfin, son regard traîne sur la pile des lettres ouvertes.

— Alors, ce concours ?

Jimin hésite. Que dire ? Que révéler ?

— Sans grande surprise… le gagnant semble déjà tout désigné…

Une lueur féline brille dans le coin de l'œil de Taehyung.

— Le beau et grand professeur Kim Namjoon, n’est-il pas ?

Jimin tourne le dos à son meilleur ami, refait une pile parfaite de lettres, les glisse dans le tote bag.

— Je n’ai pas encore lu sa lettre d’aujourd’hui. La cinquième. Mais oui, il n’y a pas photo…

— À qui s’adresse-t-il ?

— Je l’ignore, poursuit Jimin, toujours sans le regarder. Un certain PJ…

— Parfait, parfait…

Jimin se retourne enfin. Il ne comprend pas ce que Taehyung veut dire par là.

— Tu…

Taehyung le coupe.

— Demain, tu auras les deux dernières lettres d’un coup, pour la révélation du gagnant et la rencontre lundi soir.

— Les deux d’un coup ? se plaint Jimin.

— Oui. Exactement comme c’est stipulé sur le flyer, là.

Le flyer. Celui que Jimin n’a pas pris la peine de lire.

Blasé, fatigué d’avance à l’idée du week-end studieux qui l’attend, Jimin survole le flyer. Il cligne des yeux. Il a dû mal lire.

Prix remis lors de la rencontre avec l’auteur.

Un bon d’achat de 1 000 000 KRW ou une journée avec notre plus adorable vendeur, Park Jimin.

Jimin s’étrangle.

Il a le sentiment de faire l’objet d’une mauvaise farce. Il a le sentiment d’avoir été manipulé. Une colère sourde monte en lui. Il ne doit ni parler à Taehyung ni le regarder. Ses mots pourraient dépasser sa pensée, sa pensée pourrait être vomie au visage de son meilleur ami. Il froisse le flyer dans son poing serré à faire blanchir ses phalanges.

Brutalement, la connexion avec Namjoon, le sentiment de familiarité, lui semblent factices. D’une artificialité blessante. Taehyung a tout manigancé.

Il empoigne son manteau de laine et sa besace, laisse volontairement les lettres sur le comptoir.

— Débrouille-toi avec ça, crache-t-il. Et je prends un jour de congé exceptionnel demain.

Jimin vise la sortie. Il va passer la porte sans se retourner, les larmes resteront là où elles sont et il ne dira rien de grossier ou de désobligeant. Au nom de ce qu’il reste de leur amitié.

Mais Taehyung le rattrape.

— Jimin-ah ! Je voulais t’aider. C’est une bonne idée…

Jimin se retourne violemment.

— Une bonne idée ? Une bonne idée ? M’utiliser comme prix sans m’en parler ? Organiser un concours dont tu connaissais d’avance le gagnant parce qu’il n’y pas meilleur écrivain parmi nos clients ? Une bonne idée ?

La rage déforme les traits harmonieux de Jimin.

— Mais tu étais si seul… tu refusais de…

— Mais je suis un grand garçon ! Un homme indépendant ! Je n’ai pas besoin de toi ! Il n'a pas besoin de toi !

L’attaque est sévère. Elle fait un blessé. Jimin se mord la lèvre. Un goût de fer coule le long de ses gencives.

C’est faux. Totalement faux. Jimin a eu besoin de Taehyung.

Que devient une étoile lorsqu’elle est décrochée du firmament ?

— Tu avais besoin de moi ! proteste faiblement Taehyung.

— Je vais mieux. Je ne suis plus celui que tu as pris sous ton aile il y a six ans !

— Tu étais si seul bien avant !

Jimin s’apprête à nier. Non, il n’était pas seul. Il avait sa carrière de danseur étoile ! Il était adulé. Il avait sa compagnie, ses admirateurs et ses amants. Il avait Taehyung.

— Tu étais tellement ébloui par ton propre succès que tu ne réalisais pas que tu ne laissais approcher personne ? Tu ne te souviens même pas de qui t’offrait ce beau bouquet à chaque représentation !

“Un admirateur… ou plusieurs… non un… toujours la même petite carte… toujours les mêmes mots de félicitations… toujours la même signature… RKIVE ! Rkive ?”

Jimin fait défiler ses souvenirs à une vitesse folle. Le papier de soie qui craque entre ses bras, le parfum capiteux des fleurs, une voix grave et douce, des yeux de dragon… Kim Namjoon ?

— Le professeur Kim Namjoon ? dit, malgré lui, à haute voix, Jimin.

— Voilà ! Et tu ne le voyais pas. Tu ne sais pas combien il me faisait de la peine avec toi qui ne daignait même pas le regarder et le remercier vraiment d’être toujours là.

— Tu ne peux pas… on ne peut pas me reprocher ça… de ne pas avoir été attentif à tous mes admirateurs, gargouille Jimin.

— Non. Peut-être pas. Quoique l’arrogance n’a rien de très admirable… En revanche, ne pas le reconnaître, ici, à la librairie, une fois descendu de ton piédestal… Ne pas reconnaître son intérêt sincère et éviter ne serait-ce même de lui accorder un café et une conversation…

Jimin se sent détestable. Il pleure, il essuie rageusem*nt ses larmes et fuit.

Il ne mérite même pas l’amitié de Taehyung, lui, l’orgueilleux qui ose reprocher à son ami d’être envahissant.

La colère est toujours présente lorsqu’il passe le seuil de son appartement. Contre Taehyung, contre lui-même. Il attend d’être au milieu du salon pour pousser un rugissem*nt animal, poings serrés contre ses côtes, cou tendu, veines jugulaires saillantes.

— MmRRrrrrrAAAAAaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !

Jimin n’est pas soulagé. Bien au contraire. Sa main droite agrippe sa manche, ses ongles s’enfoncent dans sa chair. Il a mal. Il se fait mal. Mais ça non plus, ça ne le délivre pas ce raz de marée d’émotions et d’idées négatives.

La porte de sa chambre est ouverte puis refermée violemment. Son lit réceptionne une boule de fureur secouée par des sanglots retenus.

Jimin reste longtemps, comme ça, sans bouger sur son lit. Le jour laisse place à la nuit et le ballet des ombres reprend sur ses murs et son plafond. Il voudrait être changé en pierre. Maintenant.

Lorsqu’il entend le bip caractéristique de la porte d’entrée, il ne bat pas d’un cil. Il écoute le bruit de chaussettes glissant sur le parquet se rapprochant de sa porte.

“Toc toc toc”

— Jimin-ah ? On peut parler ?

Jimin retient son souffle. Il n’est pas là. C’est seulement ce corps qu’il commençait à aimer de nouveau.

Jimin pense que c’est ironique que Taehyung toque à la porte.

“Étrangement respectueux de sa part, sachant qu’il s’est permis de rentrer chez moi sans sonner !”

Taehyung insiste.

— Jimin-ah ? Je suis désolé. Je ne voulais pas.

Jimin reste obstinément muet. Il ne bouge même pas.

Il entend Taehyung souffler de dépit. Quelques froissem*nts, un claquement de porte et puis, plus rien.

Jimin est surpris par l’attitude de Taehyung ; il n’a pas insisté, n’est pas entré de force.

Jimin se tourne sur le ventre et serre son oreiller contre lui. Il s’endort ainsi pétri de douleur et de sentiments funestes.

À son réveil, sa bouche est sèche, son corps douloureux. Il se tourne péniblement sur le dos, s’étire, frotte son visage d’une main mal assurée. Il tourne la tête vers la porte comme pour envisager cette nouvelle journée qui l’attend.

“Il faut se lever. Il faut aller travailler. Il faut être raisonnable.”

Jimin grogne en roulant hors du lit. Il se fige en voyant une enveloppe ivoire glissée sous sa porte.

— Taehyung-ah…

Il s’imagine en train d’enjamber la lettre sans y prêter attention, aller sous la douche et poursuivre ainsi sa journée en ignorant tout ce qui s’est passé la veille et ce qu’il a pu ressentir.

Puis il voit le visage doux et bienveillant du professeur. Ce visage se superpose avec celui de l’admirateur qui donnait sans rien recevoir en retour.

Et, une fois encore, son corps décide de la suite de sa vie sans son accord.

Ses doigts plongent vers l’enveloppe. Jimin se rassoit au bord de son lit. Il ne sait plus ce qu’il espère y lire. Si, il veut du vrai, de la sincérité. Il souhaite que ces lettres lui soient véritablement adressées et qu’il puisse les mériter.

“Cher PJ,

J’ai ressenti le besoin de t’écrire, de partager avec toi quelque chose de profondément personnel.

La vie est comme une symphonie en perpétuelle évolution, comme un océan déchaîné, avec ses hauteurs euphoriques et ses creux déchirants.

J’ai grandi dans la splendeur d’Ilsan, un endroit où le vent chante à travers les collines, et le lac reflète autant de rêves que de personnes y regardant. Mais, même dans ce paysage idyllique, j’ai ressenti le poids du regard des autres, cette pression pour entrer dans un moule qui ne me correspond pas.

Tu vois, j’ai commencé à douter de moi-même, à me perdre dans les attentes des autres. Mais, au milieu de ce tourbillon, il y avait la musique. Elle était ma bouée de secours, ma voix intérieure me chuchotant “Écoute-toi”. Et cela m’a pris du temps pour réellement l’entendre et y prêter attention. Aujourd’hui encore, cela reste difficile.

Il y a des jours où je me sens perdu, où je me noie dans les tourments de mes pensées et des “à quoi bon ?”. Mais je réalise que c’est là où réside la beauté de la vie. Comme le dit Jung Hoseok, la vie peut être rude et douce, mais, si nous changeons de perspective, même les moments les plus sombres peuvent devenir lumineux.

Je t'écris cette lettre dans l'espoir que tu puisses voir, toi aussi, quelque chose de beau et d’essentiel : l'amour. Non pas seulement l'amour romantique, bien que cela puisse en faire partie, mais l'amour sous toutes ses formes : l'amour de soi, l'amour des autres, l'amour de la vie elle-même.

Comme tu l'as peut-être remarqué à travers les pages du livre de Hoseok, l'amour est un thème récurrent, omniprésent même. Il transcende les frontières de l'espace et du temps, nous connectant les uns aux autres de manière indélébile. C'est une force puissante et incommensurable qui peut guérir les blessures les plus profondes et illuminer les coins les plus sombres de nos vies.

Mais pour ressentir cet amour pleinement, il est nécessaire de s'accepter soi-même d'abord. L'amour-propre est le fondement sur lequel tout amour repose. Accepter toutes les parties de soi, même les plus sombres et les plus imparfaites, est le premier pas vers une vie remplie d'amour et de bonheur authentique.

PJ, l’amour de soi est un voyage sans fin sur un chemin parsemé de doutes et de découvertes. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je sais que nous avons le pouvoir et le devoir de définir notre propre manière de nous aimer. C’est une mission personnelle, une quête vers l’acceptation de soi.

Je sais que cela peut sembler difficile par moments, surtout lorsque nous sommes confrontés à nos propres insécurités et à nos peurs les plus profondes. Mais regarde au-delà de ces obstacles et embrasse chaque aspect de toi-même avec compassion et bienveillance. Car c'est dans cette acceptation inconditionnelle que réside le véritable pouvoir de l'amour.

PJ, chaque jour est une opportunité de découvrir un peu plus qui nous sommes vraiment, de laisser, tels des arbres majestueux, nos branches s'étendre vers le ciel. Il y aura des moments de douleur et de confusion, mais je crois que chaque épreuve nous rapproche un peu plus de notre véritable essence.

Tu es une étoile brillante dans cet univers en perpétuelle expansion. Ne laisse jamais personne éteindre ta lumière. Crois en toi, en tes rêves, en ton pouvoir de changer le monde.

Sincèrement bien à toi,

Rkive”

Jimin pleure. Jimin ne réfléchit plus. Namjoon a grand ouvert une fenêtre dans son esprit et dans sa cage thoracique. Il doit le voir. Aujourd’hui. Ce matin.

Il se douche rapidement, enfile vêtements et bijoux, doute de son apparence et revient corriger une mèche devant le miroir. Il file plus vite que le vent vers le lycée. S’il a de la chance, il le verra arriver.

Il fait horriblement froid. Jimin enfonce les mains dans son duffle-coat. Il regrette d’être parti sans ses gants. Sa main gauche trouve la cinquième lettre de Namjoon. Sa présence le rassure.

Face à lui, il y a la librairie et son rideau de fer baissé. Depuis l’autre côté de la rue, elle semble minuscule et pourtant elle contient tout son monde. C’est la maison. Ce matin, il parlera avec Taehyung. Il dira ce qu’il a sur le cœur, sincèrement, mais aussi tous les mercis et tous les mots tendres dont il est si avare.

Jimin regarde sa montre. Sept heures et quart. S’il fait vite, il a le temps d’aller chercher deux cafés bien chauds, à deux pas de là.

Lorsqu’il revient se poster près de l’entrée du lycée, quelques professeurs, nez dans l’écharpe, yeux brouillés de sommeil commencent à arriver. Jimin les salue poliment en s’inclinant légèrement. Mais certains ne remarquent pas sa présence. Les minutes s’égrainent et Jimin a peur d’avoir loupé Namjoon.

“Peut-être est-il déjà entré ?”

Sept heures et demi. Les premiers élèves arrivent tranquillement. Jimin envisage d’ouvrir la librairie. Il se sent stupide avec ses deux gobelets de café fumant.

C’est là que le professeur arrive. Il court mais son sac en bandoulière glisse de son épaule. Il trébuche sur son propre pied et étouffe une grossièreté. Jimin sourit tant il trouve sa maladresse touchante.

Il ne le voit pas. Jimin hésite une fraction de seconde.

“C’est bizarre de venir comme ça devant son travail et de l’attendre. Et puis, pour dire quoi ?”

— Professeur !

Les mots sont sortis seuls de sa bouche.

Interloqué, Namjoon tourne la tête et voit enfin Jimin. Ses yeux se plissent, puis sa bouche s’étire. Il fait quelques pas vers Jimin transi.

— Jimin ? Bonjour.

Jimin lui tend un gobelet de café se donnant un répit afin de trouver quoi dire.

— Pour moi ? Merci…

Jimin se lance comme quand on se jette du plus haut tremplin, à la piscine, par défi, comme quand on arrache un pansem*nt d’un coup d’un seul pour ne pas avoir mal.

— J’ai lu tes lettres.

Namjoon rougit, regarde sa propre montre. La sonnerie du lycée retentit. Jimin comprend qu’il ne peut pas le retenir plus longtemps.

— Tu dois y aller… je… et bien… à plus tard ?

Jimin file vers le passage piéton.

— Jimin ! l’appelle le professeur.

Jimin se retourne. Son cœur fait le fou : il tourne, virevolte, cogne contre ses côtes.

Namjoon regarde la porte du lycée. Il avale la distance entre lui et Jimin à grands pas.

— Je termine à onze heures et demi.

Jimin se dit qu’il est temps de sortir de sa caverne et de laisser le monde l’approcher.

— Je serai à la librairie.

Namjoon se frotte la nuque. Du côté où il tient son gobelet, son sac glisse encore de son épaule. Jimin, délicatement, replace la lanière.

— Oui. Parfait. Je viendrai à la librairie. Il faut… il faut…, bégaie Namjoon, nerveux, en désignant le lycée.

— Oui. À tout à l’heure.

Chapter 8: Un prince

Chapter Text

Ce que Jimin redoute encore plus que d’attendre le professeur devant son lycée, c’est d’affronter son meilleur ami.

Le samedi matin est aussi un moment intense à la librairie. Les personnes qui ne travaillent pas viennent par habitude ou pour découvrir ce lieu qui fait tant parler de lui. Et puis, à midi, les lycéens affluent par vagues successives et ininterrompues.

Jimin aimerait que Taehyung n’arrive pas trop tard, qu’ils puissent juste se parler, un peu, sans trop de mélodrame. Jimin a horreur des mélodrames. Du moins dans la “vraie vie”.

Les aiguilles de la vieille horloge que Taehyung a récupérée chez sa grand-mère caracolent. Et toujours pas de meilleur ami en vue.

Jimin jongle entre les passages en caisse, les commandes et les appels lorsque Jin et Jungkook font tintinnabuler la clochette de la librairie. Il leur envoie un petit coucou d’une main, le téléphone coincé entre l’oreille et l’épaule.

Jimin regarde son petit mulot s’approcher timidement. Il n’ose pas déranger Jimin dans son travail. Entre deux clients, il lui chuchote :

— On est rentrés.

Jimin hausse un sourcil, rit doucement.

— Je vois bien. La pêche a été bonne ?

Jimin fait en sorte que sa question semble avoir un double sens. Il est doué pour ce type d’allusion. Il est doué pour mettre Jungkook dans l’embarras. Ce dernier se tortille, rougit et fait oui de la tête.

Jin lâche un paquet sur le comptoir sans délicatesse. Jimin sursaute.

— Ça, c’est pour toi, joli cœur !

Jimin n’a pas le temps d’ouvrir le paquet et de remercier que Jin embarque déjà Jungkook. Il se retourne un bref instant et lui adresse un clin d'œil. Jimin se renfrogne. Le roi des sous-entendus et de l’asticotage, c’est lui ! Il ne se laissera pas voler la vedette par n’importe qui, pas même par le plus drôle et gentil des acteurs !

Jimin attend que quelques clients vaquent dans les rayonnages pour ouvrir sa surprise. Dans du papier de soie, deux marinières sont soigneusem*nt pliées. Elles sont strictement identiques : écrues avec des bandes bleu marine. Jimin fronce les sourcils et les déplie. Il y en a une bien plus grande que l’autre ! Sur chacune des deux, il y a une broderie au fil rouge :

“I’m tiny and cute” pour la plus petite. “I love tiny and cute things” sur la plus grande.

Jimin comprend. Jimin sent une vague de chaleur envahir son visage depuis ses oreilles jusqu’à son front.

— Adorable !

Jimin bondit et replie le papier de soie dare-dare. Taehyung est juste derrière lui. Il ne l’a pas entendu venir. Encore une fois !

Jimin porte la main à son cœur. Il s’apprête à mettre une tape à son meilleur ami pour lui avoir fichu une telle frousse. Mais Taehyung a une petite mine. Il affiche un air désolé. Vraiment surjoué selon Jimin. Pourtant Jimin l’attire brusquement à lui. Jimin n’aime pas trop les démonstrations publiques. Mais, là, aujourd’hui, il n’en a cure. Il serre son meilleur ami contre lui. Il sent presque les côtes de Taehyung se soulever contre les siennes.

— Pardon, murmure-t-il. Je suis un ami pitoyable, fait Jimin.

Taehyung n’est pas dans la mesure et il méconnaît les limites de ce qui est personnel et de ce qui ne l’est pas. Il fond en larmes sans retenue. Les clients, alertés, se retournent interloqués puis sont émus. C’est aussi pour ça qu’on aime venir au Petit Paris ; pour son patron improbable et vraiment très beau, pour son employé farouche et sublime, pour l’atmosphère unique qu’ils propagent autour d’eux.

Ils rient, embarrassés, se frottent le visage. Le téléphone sonne. Une cliente souhaite être encaissée. La vie reprend. Jimin oublie l’heure.

“Dling, dling”

Jimin ne prête plus garde à la clochette de la boutique tant elle sonne encore et encore.

“Alice Della Rocca détestait l’école de ski. Elle détestait le réveil à sept heures et demie du matin y compris pendant les vacances de Noël et son père qui l’observait durant le petit déjeuner, agitant nerveusem*nt la jambe sous la table comme pour signifier allez, dépêche-toi. Elle détestait le collant en laine qui lui piquait les cuisses, les moufles qui l’empêchaient de bouger les doigts, le casque qui lui écrasait les joues et appuyait sur ses mâchoires, enfin ces grosses chaussures, toujours trop serrées, qui lui donnaient la démarche d’un gorille.

« Alors, tu bois ton lait, oui ou non ? » la pressa de nouveau son père.

Alice avala trois doigts de lait bouillant qui lui brûlèrent la langue, puis l’œsophage et l’estomac.

« Bien. Et, aujourd’hui, montre-leur qui tu es », lui dit-il.

Et qui suis-je ? pensa Alice.”

Perché sur le marchepied, Jimin range trois exemplaires de la Solitude des nombres premiers . Il ne peut s’empêcher de lire quelques lignes. Comme souvent, il pense qu’il achètera un exemplaire qui finira dans sa pile de livres à lire. Taehyung lui a dit qu’il souffrait du Tsundoku, le “syndrome de la pile à lire”. Cela leur a valu un grand fou rire, car, des deux, Taehyung est probablement le plus atteint ! Taehyung est bibliomaniaque ; pas une pièce de son chez lui n’est épargnée : des livres dans le salon et la chambre, des livres dans la cuisine mais aussi dans les toilettes. Il ne peut pas tous les lire mais il les a “au cas où” et parce qu’ils sont beaux et qu’ils sont “incontournables”.

— Qui suis-je ? répète Jimin pour lui-même.

— Il est triste de solitude, ce livre.

Jimin est encore une fois surpris. Déstabilisé, il fait trembler son promontoire. Le professeur tend les bras prêt à le réceptionner.

— Pardon, je ne devrais pas surprendre les gens comme ça.

Jimin prend le temps d’intercaler le livre entre deux autres exemplaires. Bien tenu, il ne peut glisser et tomber. En prenant ainsi le temps de contenir ses émotions, Jimin ne peut glisser et tomber. Il descend les trois petites marches, léger, aérien.

Namjoon le regarde. Jimin se sent admiré comme lorsqu’il était dans son costume de velours et de sequins.

— Il est déjà onze heures et demi ?

— Merci pour le café, ce matin.

Jimin ne sait plus quoi répondre ou dire, il ne sait plus pourquoi il devait absolument le voir. Jimin comprend Jungkook quand il dit que les mots sont traîtres.

Namjoon sourit avec ses yeux. Le soleil traverse la vitrine et frappe la nuque de Jimin, juste là, à l’emplacement de sa tache de naissance. C’est chaud et réconfortant. Comme la voix du professeur.

— Je me demandais pourquoi tu ne passais plus tous les jours.

Jimin se trouve téméraire, un brin idiot. Il aurait aimé trouver une autre approche plus subtile.

— Aaaahhh, j’étais en voyage scolaire.

Jimin est déçu. Il s’imaginait que Namjoon le fuyait peut-être, fatigué d’être sans cesse repoussé, fâché d’avoir dû emmener Jungkook en rendez-vous. Mais il n’en est rien. Le professeur semble égal à lui-même.

Jimin espère que sa déception ne se lit pas sur son visage. Il est tout prêt à se fermer comme une huître.

“Dling, dling”

“Dling, dling”

“Dling, dling”

La sonnette s’affole. Elle prévient les adultes présents dans la librairie de l’invasion imminente. Les lycéens sont là, bruyamment joyeux.

Jimin entend Taehyung les accueillir, jovial et séducteur. Des rires et des minauderies parviennent jusqu’à lui. Jimin recule de quelques pas. Il s’abrite entre un mur et le bout d’une bibliothèque aux étagères pliant sous le poids des mots et de la poésie. Namjoon lui emboîte le pas.

— Mais tes lettres ? Comment as-tu fait ?

— J’ai tout simplement demandé à un collègue de les déposer. Tu les as lues, donc ? Qu’en penses-tu ?

Jimin ne veut pas révéler ce qu’il en pense réellement. Il ne veut pas raconter les larmes, le sentiment d’être compris, le désir naissant.

— De loin, les meilleures. Jung Hoseok aura un gagnant à sa mesure.

Namjoon baisse la tête dans un élan désespéré pour masquer sa fierté. Un souffle réjoui s’échappe de son nez, ses fossettes se creusent. Il se gratte la nuque.

— Tu as apprécié, donc ? demande-t-il en regardant Jimin par en-dessous.

Jimin s’enflamme de l’intérieur.

“Par Aphrodite et Apollon, par Eros et Himéros !”

Jimin invoque mentalement toutes les divinités de l’amour et du désir afin qu’elles le laissent en paix, ne serait-ce que quelques minutes.

Les piaillements se rapprochent d’eux.

Namjoon ressent peut-être aussi l’urgence de se parler avant d’être submergé par une vague adolescente. Il ne laisse pas le temps à Jimin de répondre. Il enfonce la main dans une poche de son manteau et en sort deux lettres.

— Les dernières, dit-il simplement en les tendant à Jimin.

— Jimin-ah !

Taehyung appelle à l’aide depuis l’autre bout de la boutique. Jimin, nerveux, regarde par-dessus l’épaule du professeur.

Il a tant de choses à demander. Tant de choses qu’il n’ose pas dire. Et si peu de temps. Et dans un moment si peu approprié.

Dans la tête de Jimin, c’est comme un énorme boulier de loto qui se met en branle. À la place des billes colorées, ce sont des répliques intelligentes, ou subtiles, ou charmantes, ou totalement insensées et stupides. Jimin ne choisit pas celle qui sortira.

Sa bouche s’ouvre, il est déjà trop tard.

— Qui est PJ ?

Aussitôt, il se mordille la lèvre. La question est embarrassante parce qu’il voudrait que ce soit le P de Park, le J de Jimin. Il veut entendre dire que ces lettres lui sont adressées. Peut-être même qu’il pousserait ensuite la folie en se comportant comme Taehyung, sans frein, avec désinvolture et inconvenance. Il attraperait le professeur par son écharpe qui pendouille pour l’embrasser, là, à l’ombre fraternelle des livres.

— Professeur ! interpelle une élève.

— Jimin-aaaah, s’impatiente Taehyung.

— PJ ? C’est un prince.

La déception frappe Jimin en plein torse.

“Un prince ? Ridicule ! Puéril !”

Jimin n’a ni le temps ni l’envie d’en savoir plus. Il prend les deux lettres tendues.

— Je dois y aller. Désolé.

Jimin n’est pas désolé. Il pleurerait de rage. Mais assez pleuré. Il retourne au cœur de la boutique, s’immerger dans le tourbillon de vie, pour ne plus penser.

“Dling, dling”

Jimin ne se retourne pas sur l'au revoir à peine audible.

La folle matinée est terminée.

Assis sur une vieille chaise de jardin en plastique, Jimin se balance, une cigarette se consumant au bout de ses doigts. Taehyung le rejoint dans l'arrière-cour. La librairie est enfin fermée.

Taehyung lui prend la cigarette des mains pour tirer dessus.

— Triste ?

— Déçu.

La cigarette circule entre eux comme un bâton de parole.

— Par moi ?

— Toujours. Jamais.

— Charmant.

— Par le professeur.

— Il a enfin ce pouvoir ?

Jimin hausse un sourcil. Il prend son air arrogant et distant.

— Il rêve encore du prince charmant.

— Romantique.

— Pitoyable.

— Comment s’appelle ce prince ? Jimin ?

Jimin tire une plus grosse taffe, agacé.

— Qu’est-ce que j’en sais ?

— Ce ne serait pas Julian ?

Interdit, Jimin arrête de se balancer.

“Prince Julian ? Le rôle pour lequel je me suis battu, pour lequel j’ai sué sang et eau ? Mon apothéose et ma chute ?”

— C’est moi ?

— À ton avis, patate !

— Putain !

— Tu vas pouvoir la porter.

— Hein ?

— Ta belle marinière brodée de fil rouge.

Ce soir, Jimin n’écoute que d’une oreille Jungkook lui raconter ses péripéties avec Jin.

Jimin flotte entre deux mondes. Les rires et les anecdotes lui parviennent à peine.

Jimin flotte dans son bain et les exclamations des spectateurs du match “à ne pas louper” sont étouffées par l’eau parfumée et à peine assez chaude. Jimin frissonne. Il s’enveloppe dans le grand peignoir qu’il a volontairement mis sur le sèche-serviette poussé au maximum. Il s'emmitoufle et trottine pieds nus jusqu'à sa chambre.

— Bonne nuit, Mimi-ssi ! fredonne Jungkook, joyeux, depuis le canapé.

— Bonne nuit, répond Jimin déjà ailleurs.

Il se faufile, sans se changer, sous sa couette. Il se sent gêné dans ses mouvements par le peignoir trop raide. Il défait la ceinture avant de tendre le bras vers les deux dernières lettres du professeur.

Taehyung a proposé de se charger des autres participations.

“Pour avoir une idée. Même si on a déjà décidé du gagnant, n’est-il pas ?”

Jimin est nerveux. Ses doigts tremblent. Il hésite. Laquelle doit-il ouvrir en premier. Mais le professeur est prévoyant. Au dos de l’enveloppe, le nom du jour est inscrit de sa plus belle écriture.

“Samedi”

“Cher PJ,

Il est des instants dans la vie où les mots semblent se figer, où l'émotion se fait si intense qu'elle défie toute tentative d'expression. Ainsi, aujourd'hui, tandis que je prends la plume pour t'écrire, je me retrouve face à cette étrange et merveilleuse réalité : celle d'avoir été touché en plein cœur par la grâce et la beauté qui émane de ton être.

Au cours de ces dernières années, une évidence s'est imposée à moi avec une force inouïe : tu es bien plus qu'un danseur, bien plus qu'une étoile déchue. Tu es une âme rayonnante, une lumière qui brille au-delà des scènes et des projecteurs, illuminant mon monde de ta présence.

Lorsque j'ai appris l'accident qui a mis fin à ta carrière, j'ai ressenti un mélange indescriptible d'émotions. La tristesse, bien sûr, face à la douleur que tu as dû endurer. Mais aussi l'admiration, devant la force et la résilience dont tu as fait preuve. Et, je dois l'avouer, un sentiment plus singulier, qui a lentement pris racine en moi au fil du temps.

PJ, tu as touché mon cœur d'une manière que je n'aurais jamais cru possible. Ta sincérité, ta vulnérabilité, ta beauté intérieure m'ont ému au plus profond de mon être. Dans chacune de mes lettres, j'ai distillé une part de moi-même, une résonance qui, je l’espère, a dépassé nos différences pour parvenir jusqu’à toi.

Et c'est ainsi, presque imperceptiblement, que je me suis surpris à ressentir quelque chose de plus fort, de plus profond que l’admiration et l’empathie. Un sentiment qui a pris racine dans mon âme. Un sentiment que je ne saurais définir avec des mots, mais qui éclaire chacune de mes pensées, chacun de mes rêves.

Aujourd'hui, en écrivant ces lignes, je veux que tu saches que tu n'as jamais été seul. Que même dans les moments les plus sombres, les plus difficiles, tu as été entouré de l'amour et de l'admiration de ceux qui te connaissent et t'apprécient pour ce que tu es : un être d'une rare beauté et d'une force incommensurable.

Alors que tu continues ton chemin sur la voie de la vie, je te souhaite tout le bonheur et le succès que tu mérites. Puisses-tu trouver en toi la force et la détermination nécessaires pour surmonter tous les obstacles qui se dresseront sur ton chemin, sachant que tu as en toi une lumière qui brille d'une intensité incomparable.

Bien que je ne sois qu’une ombre à la périphérie de ta vie, je termine cette lettre en te disant simplement ceci : je suis là, PJ, aujourd'hui et pour toujours.

Avec sincérité,

Rkive”

Jimin est ému au-delà des mots. Il attrape son téléphone.

— Taetae, j’ai besoin de quelque chose de pas éthique du tout. 👉🏽👈🏽

— Enfin ! On y vient. Alors mon Jiminou, je commence par quoi ? 🍑❤️🔥

— Arghhh ! Tu m’agaces. 🙄 Je voudrais le numéro d’un client.

— Oh ! Ça ! Non, ça ne va pas être possible. 🤐

— Kim Taehyung ! Depuis quand as-tu des scrupules ?

— Je suis quelqu’un de très intègre. 🧐

Minou ?

Jimin-ah ?

2-2118-5168

Voilà le numéro de ton professeur 😘

Et je veux TOUT savoir !

— Je t’aime 💛

— Pas autant que moi !

Jimin, à plat ventre, sur son lit, tape, efface, retape et efface encore un message qu’il veut adresser au professeur.

Son peignoir ouvert découvre son torse, son ventre, ses cuisses. Le contact du drap frais directement sur sa peau est agréable. Jimin se sent bien, et séduisant. Jimin est le prince. Prince Julian. PJ. Il n’a aucun doute.

Le velours de la pénombre, et l’éclat de la bougie sur son épaule dénudée, est son costume pour la nuit.

— Je suis Prince Julian.

— Jimin ?

— Je suis le prince à qui tu écris, n’est-ce pas ?

— N’ai-je pas été suffisamment limpide ?

— Et toi, qui es-tu ?

— Celui que tu veux bien me laisser être.

L’électricité parcourt de nouveau le corps de Jimin, de ses orteils à ses lèvres. Cette nuit, il n’est pas raisonnable et s’imagine brûler toutes les étapes jusqu’aux bras du professeur.

— Ce que je veux ? 😏😈

— Ce que tu veux.

Mais Jimin reste un être raisonnable.

— Bonne nuit, professeur.

— Professeur ? 💔

— Bonne nuit, Kim Namjoon.

— Bonne nuit, Park Jimin.

— Bonne nuit, Rkive. ❤️🔥

— Bonne nuit, mon étoile.🌟

Ce n’est pas dimanche matin. Et ce ne sont pas les belles et grandes mains du professeur Kim Namjoon, là, sur sa peau incandescente.

Peu importe.

Chapter 9: Art for life

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Namjoon fait tourner la tranche d’orange dans son verre de sangria. Il ne peut s’empêcher de sourire. Il rêve, les yeux dans le vague. Jimin lui a envoyé un message hier soir. Park Jimin s’adresse à lui sans cet air distant et contrarié qu'il peut avoir à la librairie. Jimin plus beau et délicat encore que ne l’était Prince Julian.

— Alors, ce concours, Namjoon ? lui demande Youngjin en trempant un morceau de pain dans la coupelle d'huile d’olive.

— Il va certainement tout déchirer ! ajoute Jae en se resservant du punch.

Namjoon rit d’embarras face à ses deux meilleurs amis.

— J’aimerais bien gagner, c’est sûr.

— C’est quoi, le prix déjà ?

— Un bon d’achat.

— Ou un rendez-vous avec l’employé. Tu m’étonnes que tes élèves se soient empressés de participer ! Tu devrais les motiver plus souvent comme ça, toi aussi.

Les amis de Namjoon rient. C’est agréable.

C’est agréable parce que Namjoon aime ce café. Namjoon aime retrouver ses amis au Art for life. Tout y est improbable et pittoresque. Dans une maison traditionnelle, un bric-à-brac de meubles, de livres, de sculptures. Parfois, Namjoon a le sentiment de se trouver dans l’incarnation même de son esprit. À sa gauche, une pile de livres. Au sommet de la pile, une partition de Marin Marais. Des yeux dessinés sur la tranche d’un bouquin l’observent. Namjoon peut à peine apercevoir la peinture au mur ; il est couvert de photos en noir et blanc. Des photos de famille, de Séoul, mais aussi des personnalités, des artistes : Verlaine, Gainsbourg, Audrey Hepburn…

C’est agréable parce que Namjoon aime la compagnie de ses meilleurs amis.

C’est agréable parce que depuis le début de ce concours, Namjoon a le sentiment de s’épanouir comme les fleurs de la glycine, en septembre, sur la terrasse du café.

Namjoon pose un morceau de mozzarella et de la tomate sur sa tranche de pain. Il croque dedans avec délice. L’huile coule un peu sur la table. Jae s’empresse d’éponger avec une serviette en papier.

— Donc. Bon d’achat pour toi, monsieur le professeur ? Tu ne disais pas que tu voulais ralentir sur les bouquins ?

Namjoon tarde à répondre. Son visage ne sait pas mentir.

— Oh, oh ! Namjoonie ! Ne me dis pas que…

— C’est quand même un peu tordu cette histoire de rendez-vous avec le gagnant. Il aime le risque le petit vendeur !

— À moins que le risque ne soit très très limité et que ce soit calculé.

Youngjin se penche sur la table, tapote sur la main de Namjoon.

— Hmmm… personne ne fait le poids face à toi. Mais notre Namjoonie ne serait-il pas la proie bienheureuse de Lestat et Louis ?

Namjoon pouffe. La comparaison est à la fois grotesque et bien vue.

— Si jamais je gagnais, je ne choisirais pas le rendez-vous. Comme vous, je trouve ça vraiment malaisant.

Jae, assis face à lui, se laisse aller contre le dossier de sa chaise de jardin. Il croise les bras sur son torse et observe le professeur. Il fait claquer sa langue contre son palais avant d’ajouter :

— Mais tu irais bien à ce rendez-vous…

Ce n’est pas une question. Namjoon est cerné. On lit en lui comme dans un livre ouvert.

Une foule de répliques affluent dans son esprit, au même rythme que la chanson de Gotan Project qui passe au même moment dans le café. Il pourrait jouer sur les mots et être subtil dans sa réponse.

— Ça fait combien de temps depuis Teo ?

Namjoon blêmit. Il ne tenait pas à reparler de Teo. “L’homme de sa vie”. L’homme qui en avait eu assez de l’attendre, assez d’attendre que Namjoon vive sa vie plutôt que de la rêver. L’homme qui était parti se réaliser à Tokyo sans se retourner. Ils devaient aller à Paris ensemble. Lui, pour suivre un cours d’architecture, Namjoon pour s’inscrire à La Sorbonne et écrire son roman…

— Huit ans facile, répond Youngjin à sa place.

— Tu as fait vœu d’abstinence ou bien ?

— Vous exagérez ! proteste Namjoon face à ses amis qui s’esclaffent.

— Ha oui… pardon… y a eu… tu te rappelles ? fait Jae en pointant Youngjin de sa fourchette… le vieux, là…

— Oh, putain, oui, le médecin légiste !

— Il n’était pas si vieux ! grogne Namjoon.

— Oh, et, cet étudiant en art, là… qui ne panait rien… il n’avait pas la lumière à tous les étages !

— C’est méchant, totalement gratuit ! Il était gentil.

— Ah ! et l’Amerloque ! Lui, tu ne peux pas dire qu’il était sympa, ou gentil. Il transpirait la condescendance ? Tu lui trouvais quoi, franchement ?

— Il devait avoir des talents cachés ? pouffe Jae.

Namjoon n’aime pas le tour que prend cette conversation. Ses amis listent ses aventures plus ou moins longues avec des hommes qui n’ont pas vraiment compté. Et ses amis le savent. Namjoon devrait en rire avec eux.

— Hmmm… fait Youngjin en terminant son verre de sangria… y avait pas aussi un danseur ? Ça a duré un sacré bout de temps !

— Non, il se contentait d’aller le voir à chaque représentation avec un énorme bouquet de fleurs. Awwww… notre Namjoonie tout romantique, minaude son ami.

Namjoon a le cœur au bord des lèvres.

— C’était lui. Je veux dire Jimin. Le danseur, c’est Jimin de la librairie, souffle Namjoon.

Ses amis le regardent sans comprendre.

— Hein ?

— Le danseur, c’est l’employé de la librairie ?

— Merde, Namjoon. Tu déconnes, là ? Jamais tu n’as fait le premier pas ? Quoi, depuis tout ce temps ?

— Attends, tu sors avec des types qui ne te vont pas du tout et t’es amoureux d’un mec que tu te contentes de regarder de loin depuis plus de sept ans ? Vieux, réagis !

Namjoon sait que toute cette histoire est pathétique à souhait. Les petites fleurs dans sa cage thoracique se rabougrissent et fanent.

— Tu sais quoi ? Tu vas choisir le rendez-vous ! C’est décidé !

— Au pire, ce sera lourdingue et tu passeras enfin à autre chose.

Namjoon a envisagé cette option. Il s’est même dit que la récompense de ce concours était étrange et que, peut-être, effectivement, Taehyung avait pensé à lui, le professeur amoureux transi de son meilleur ami.

— Je ne sais pas…

— Namjoon-aaaahhh !

Namjoon sent qu’il est temps de prendre un vrai risque avec cette personne envoûtante qu'est Jimin.

— Les gars ! Il neige ! s’exclame Jae.

Namjoon n’a qu’à se tourner un peu pour tendre le cou vers la fenêtre. Le ciel est d’un gris lumineux. Des petit* flocons tombent avec une lenteur exagérée, très espacés. C’est la première fois cette année.

“C’est beau !”

Il s’apprête à se lever pour prendre une photo quand son téléphone s’illumine et vibre.

Youngjin regarde au-dessus de son épaule et lève un sourcil non pas moqueur mais plutôt taquin.

— Park Jimin ? Tu m’en diras tant ?

Jae lui colle une tape sur l’épaule.

— Allez, regarde ! Qu’est-ce qu’il dit ?

Namjoon frotte sa tête sur laquelle trône un bonnet qui masque ses cheveux en bataille. Il hésite et fait glisser la notification.

Il y a une photo. Une photo prise sur une terrasse de leur quartier. Une petite main rose aux doigts courts et pourtant grâcieux. Dans cette jolie main ornée de bagues argentées, des flocons qui fondent.

— Professeur, pardon, Namjoon, regarde, il neige !

Les premières neiges❄️🤩

J’aurais adoré que tu sois là. Avec moi. Pour voir ça.

P.S. : Si tu fais un voeu, dis-le moi, je t’offrirais un paquet de mouchoirs 😉

Le cœur, l’estomac, la tête de Namjoon font un looping, un flip, un triple axel avant d’exécuter un tour jeté de toute beauté, digne des jeux olympiques.

— Popopopopooooo ! s’écrient en chœur les amis de Namjoon.

— À quelle heure est la rencontre avec l’auteur demain ? s’empresse de demander Jae. Faut qu’on soit là !

— Namjoon-ah, je te préviens ! Si, demain, tu ne te sors pas les doigts du cul, je te jure qu’on s’en chargera ! Hein ? Tu te rappelles comment on procédait au lycée !

Namjoon hésite entre exploser de rire ou de gêne. Évidemment qu’il se rappelle et qu’il n’a pas envie de revivre ces moments absolument embarrassants.

Demain, Namjoon choisira le bon d’achat.

Jimin n’est pas un prix, une jolie récompense.

Demain, Namjoon invitera Jimin. Une dernière fois.

Notes:

Dans la culture populaire coréenne, la première neige a une signification particulière. C'est l'occasion d'avouer ses sentiments à la personne qui nous plaît. Il est aussi dit que si vous faites un vœu sous la première neige, il se réalisera (et vous aurez un rhume en cadeau).

Lestat et Louis sont les personnages principaux du roman de Anne Rice, Entretien avec un vampire. Ces deux vampires ont une relation complexe, entre haine et empathie. Ils représentent pour la communauté LGBT, et même pour l’auteur, les deux premiers vampires gays de la littérature par la sensualité hom*oérotique qui émane d’eux.

Chapter 10: Mais, si tu m’apprivoises…

Chapter Text

Jimin, le dimanche, aime paresser au lit. Il se réveille et s’étire comme un chat. Il laisse les rayons du soleil lui caresser le visage, le cou, les bras, et son ventre dénudé par l’agitation de la nuit. Et ces caresses lui rappellent celles dont il rêve ces dernières nuits. Jimin ferme de nouveau les yeux et laisse errer sa main sur son torse encore chaud d’un sommeil bienheureux. Ses doigts effleurent et courtisent la peau sensible.

Jimin aime s’oublier entre ses mains le dimanche matin.

Jimin n’est pas seul. Il a avec lui les mots de Rkive mais aussi ceux du professeur Kim Namjoon. Il a avec lui le souvenir de sa voix et de ce regard à la fois si doux et si intense.

Entre ses mains, son corps palpite. Sous ses doigts, Jimin désire faire rouler les muscles de Namjoon.

Ah ! Jimin aime tant le dimanche matin !

Il n’est encore que langueur et frémissem*nts lorsqu’il prend son téléphone.

— Bonjour, Namjoon. ☀️

— Bonjour, Jimin.

Tu as lu la dernière lettre ?

— Non. Pas encore. Je pensais à toi.

— Je pense à toi aussi.

— Beaucoup ?

— Hummm… oui, on peut le dire ainsi.

Jimin serre son téléphone contre son cœur, se retourne sur le ventre pour étouffer un cri de joie dans ses oreillers.

Il n’a pas le temps de se doucher, de s’habiller ou de prendre un café. Il faut qu’il lise la dernière lettre de Namjoon, autrement nommé Rkive.

Les jolies mains de Jimin tremblent un peu en déchirant l’enveloppe, maintenant qu’il est certain d’en être le destinataire. Il porte le papier à son nez pour en respirer le subtil parfum. Il s’enfonce dans ses draps pour lire.

Les draps sont chauds et doux.

Les mots sont chauds et doux.

“Cher PJ,

Tu aurais pu être un homme semblable à cent mille hommes.

Mais tu m’as apprivoisé. Oh, involontairement, très certainement. Mais tu m’as apprivoisé. Ma vie était monotone avec si peu de joies. Avec toi, elle s’est ensoleillée.

Chaque vendredi, à 19h30, la salle de l’opéra bruissait de murmures, le lourd rideau de velours rouge s’ouvrait sur mon souffle retenu, et tu apparaissais tel un ange descendu du ciel.

J’ai appris à connaître le bruit de tes pas, la courbe de tes bras, la musique de ta voix.

Alors, chaque vendredi, dès le réveil, je commençais d’être heureux. Plus l’heure avançait, plus je m’agitais et m’inquiétais. Je découvrais un nouveau bonheur.

Et j’ai pleuré.

J’ai pleuré lorsque le beau rideau rouge a cessé de se lever sur toi.

J’ai pleuré lorsque le vendredi est redevenu un vendredi comme tous les autres.

J’ai pleuré de m’être laissé apprivoiser par un homme qui venait de perdre sa rose.

J’y ai pourtant gagné.

Que dire de mon émerveillement, quand un autre rideau, tout en fer, au grincement à déchirer l’âme, s’est un jour ouvert sur toi ?

Chaque matin. À la même heure.

Alors l’aube a pris ton visage. Chaque matin est devenu un enchantement.

Le bruit de tes pas, la courbe de tes bras, la musique de ta voix s’enroulent autour de mon cœur.

Tu es pour moi unique au monde.

Un renard solitaire à son Petit Prince.”

Jimin se sent bien. Jimin a tant à dire au professeur.

Kim Namjoon est lunaire, comme venu d’une autre planète. Il peut parler avec passion de sujets incongrus, et, alors, tout son corps s’anime de manière étrange, comme si ses bras et ses mains échappaient à son contrôle. Dans ces moments-là, il lui arrive de se cogner un coude, de renverser une pile de livres ou de bousculer un client. Il s’excuse ensuite avec candeur et personne ne résiste à l’obligeance de ses mots.

Jimin l’admet, ce professeur est bel homme, il parle bien aussi, et les fossettes qui creusent ses joues, lorsqu’il sourit, sont vraiment charmantes.

Et maintenant, il le comprend. Les zones de mystère et inconnues du professeur sont autant de mondes exaltants à explorer.

Jimin se sent nerveux et inquiet. Jimin est heureux.

Son dimanche se déroule comme sur un nuage. Il ne peut rien avaler tant il est envahi d’émotions.

L’envie d’écrire à Namjoon et de lui répondre l’agite. Jimin se précipite dans sa chambre et s’agace de ne trouver ni papier ni crayon. Lorsque, enfin, il s'aplatit sur son lit avec un bloc et un crayon, les mots refusent de couler. Jimin aime lire. Jimin aime la poésie des mots et les univers qu’ils recèlent. Mais Jimin ne sait pas les dompter. Ses pensées sortent difformes et confuses. Les boulettes de papier volent autour de lui. Et, soudain, voilà ! Comme un rai de lumière qui traverse des nuages gris et illumine subitement le monde, les mots surgissent. C’est à la fois terrifiant et enivrant. Jimin est fier. Ses jolis pieds battent l’air au-dessus de ses fesses nues. Il se sent complet.

Jusqu’à ce qu’il se relise ! Alors le désespoir l’envahit. Ce n’est pas ce qu’il veut dire. C’est si proche pourtant.

La feuille froissée atterrit au milieu de la chambre. Jimin suit sa chute du regard. Et cette boule blanche tombe bien plus vite que celles, infiniment plus petites, qu’il voit sur les toits.

Jimin se jette en dehors de son lit vers la fenêtre. Il grelotte. L’air est froid sur sa peau. Il frissonne. Tout semble dire que les temps ont changé pour lui.

Il neige !

Jimin trottine de nouveau jusqu’à son lit.

— Professeur, pardon, Namjoon, regarde ; il neige !

Les premières neiges❄️🤩

J’aurais adoré que tu sois là. Avec moi. Pour voir ça.

P.S. : Si tu fais un voeu, dis-le moi, je t’offrirais un paquet de mouchoirs 😉

— Moi aussi.

Si tu savais.

Reste bien au chaud. N’attrape pas froid.

— Promis.

— À demain ! J’ai hâte.

— Moi aussi. À demain.

Quand Jungkook rentre enfin à la maison, Jimin enfile rapidement quelques vêtements. Il voudrait tout raconter, tout dire. Il tourne autour de son petit mulot qui vient se nicher dans le canapé. Il semble fatigué. Jimin sourit. Il sait. Jungkook n’est jamais aussi fatigué, même après d’intenses entraînements. Son petit mulot se laisse consumer par les joies et les plaisirs des premiers instants. Jimin pose son menton sur l’épaule de Jungkook et frotte son nez contre sa joue.

— Il est gentil, au moins, avec toi ?

— Hummm ? Oui. Quelle question !

Jungkook fait mine de s’offusquer. Jimin attrape son bras et se blottit contre lui.

— Tu es amoureux… toi aussi ?

Le “toi aussi” est tout juste murmuré. Jungkook ne l'entend pas ; il s’est agité au mot “amoureux”. Jungkook n’est pas secret mais il est pudique.

— Hyung ! Jiminie !

Jimin rit à gorge déployée. Jungkook est beau de gêne. Jimin se demande si, lui aussi, il est transfiguré par ses sentiments. Il a toujours peur. Les livres lui apportaient un semblant d’amour par procuration. C’était sans danger et rassurant. Mais c’était si loin de la vie. C’est si loin des transports actuels de son corps et de son esprit.

Alors Jimin ouvre la porte à Namjoon.

Jimin accepte la peur.

Chapter 11: Un café, par pitié !

Chapter Text

Jimin n’est jamais en retard. C’est l’apanage de Taehyung. Mais, ce lundi matin, le rideau de fer ne grince pas à l’heure habituelle, les lycéens ne voient pas le tapis à l’effigie de la tour Eiffel sur le trottoir, ni le bel employé aux cheveux blonds s’affairer à l’intérieur de la boutique.

“Toc Toc Toc”

— Hyung ? Jiminie hyung ?

Jungkook, les cheveux en bataille, les yeux encore bouffis de sommeil, s’inquiète. Dans la chambre de Jimin, il entend des objets tomber et des jurons.

D’abord, il a trouvé Jimin bien matinal et a grogné en plaquant un oreiller sur son visage. Avant de réaliser.

“Lundi ! On est lundi ! Mais quelle heure est-il ?”

Le jour traversait les rideaux, et, en cette saison, Jimin part travailler alors qu’il fait encore nuit.

Jungkook déteste les imprévus, les accidents quels qu’ils soient et les retards. Même si cela ne le concerne pas.

Son cœur a battu la chamade, il s’est expulsé de son lit comme un beau diable et le voilà à toquer à la porte de Jimin sans oser rentrer.

— Hyung ? Je peux entrer ? insiste-t-il.

— Arghhhh ! Non, pas ça ! Mais où je l’ai mise ?

N’y tenant plus, Jungkook entrouvre la porte, laisse passer prudemment sa tête. Un objet non identifié vole sous son nez. Jungkook sursaute et recule d’un pas avant de se décider à entrer.

C’est un chaos sans nom. Les tapis et les vêtements qui recouvraient le sol ont disparu sous de nouvelles montagnes d’habits et d’accessoires. Jimin, encore en sous-vêtements, fourrage, comme possédé par un esprit rageur, dans le dernier tiroir de sa commode, à quatre pattes.

Jungkook rougit. Il rougit parce qu’il surprend Jimin dans une drôle de position. Et Jungkook est un homme plein de vigueur qui apprécie les jolies courbes. Son esprit lui envoie un rappel à l’ordre :

“C’est Jimin. C’est ton hyung, ton ami.”

Maintenant, c’est la consternation puis l’hilarité qui le prennent. Il étouffe son rire d’une main.

Jimin se retourne, les joues en feu, les yeux hagards.

— C’est une catastrophe ! Je n’ai rien à me mettre ! Absolument rien !

Jungkook se dit que Jimin pourrait habiller la moitié de la ville avec tout ce qu’il possède. Il retient avec peine sa remarque moqueuse. Jimin est à présent assis en tailleur et Jungkook jurerait que Jimin est sur le point de fondre en larmes.

Ça, Jungkook, n’aime pas. Il ne sait pas consoler avec des mots. Il lui faudrait agir.

“Je vais lui faire un bon petit déjeuner. NON ! Il est super en retard. Alors, heu, un câlin. Jimin adore les câlins. Pfff, vu son état, je risque de me faire remballer…”

Et pendant qu’il se torture à trouver une idée, Jungkook ramasse les vêtements un à un, les plie, les suspend, les range. Il trouve les vêtements de la veille abandonnés sur le lit et les jette dans le panier à linge sale.

Jimin le regarde s’affairer comme un petit bourdon dans un jardin au printemps. Il pleurniche à présent.

Jungkook soulève le coin d’un rideau, observe le ciel.

— Il va encore neiger aujourd’hui.

Sans plus réfléchir, il ressort un pantalon de velours côtelé beige et le gros pull tressé blanc qu’il lui a ramené de son stage d’été en Irlande. Encore une paire de chaussettes bien chaudes, et un tee-shirt à manches longues très doux, et le voilà accroupi devant Jimin qui renifle.

Jungkook commence par les chaussettes puis le tee-shirt. Jimin se laisse habiller comme un petit enfant. Cela rappelle des heures plus sombres à Jungkook. Celles où il devait baigner, habiller et déshabiller son ami qui se laissait faire comme un pantin désarticulé et sans âme. Il se rassure en disant qu’aujourd’hui, Jimin, au contraire, est bien vivant. Il laisse seulement ses émotions déborder. Et son nez…

— Mais, Hyung ! Rrroooo… attends, bouge pas.

Jungkook ramène la boîte de mouchoirs et s’accroupit de nouveau.

— Allez, souffle.

Jimin se laisse d’abord faire avant de terminer seul. Puis il en attrape un autre pour essuyer ses yeux, avant de les jeter à même le sol.

Jungkook jette un regard noir à Jimin qui fait la moue. Jungkook déteste le désordre et les mouchoirs sales qui traînent. Il s’empresse de les ramasser, de se lever d’un bond pour se diriger vers la salle de bain. Au passage, il glane ce qui lui semble n’avoir de place que dans une poubelle.

— Non, pas ça ! s’écrie Jimin en se précipitant vers lui.

Jimin lui arrache des mains un papier froissé.

Jungkook ne comprend pas pourquoi ce morceau de papier n’irait pas à la poubelle avec les dizaines d’autres. Jimin est parfois une énigme pour lui. Il souffle et hausse les épaules avant de quitter la chambre.

Lorsque Jungkook revient avec une brosse à cheveux dans les mains, il s’attend à trouver Jimin enfin habillé. Mais celui-ci est assis sur le bord de son lit, les jambes ballantes. Il a défroissé le papier et le lit.

— T’es pas vrai ! râle Jungkook. Allez, debout !

Il lui enfile le pantalon, puis le pull. Sans trop de ménagement.

— Aïe ! proteste Jimin qui émerge du pull.

Quelques petit* cheveux flottent dans les airs. L’électricité statique s’amuse avec la chevelure blonde. Jungkook pouffe de nouveau. Cette fois, Jimin ne chouine plus, il boude. Ses lèvres se pincent et s’avancent pour former un petit bec, alors que ses yeux se réduisent à deux fentes. Jungkook pense que c’est un exploit tant ses paupières sont bouffies d’avoir pleuré. Il ne se laisse pas impressionner pour autant et brosse doucement la chevelure folle.

— Voilà. Tout beau. Et super en retard !

— Je ne veux pas y aller.

— C’est nouveau, s’agace Jungkook en tirant la couette pour refaire le lit.

— Je suis affreux ce matin.

— Fallait pas pleurer pour rien…

— Alors c’est vrai ? Je suis si horrible que ça ? Il faut que je me maquille ! Mes boucles d’oreilles !

Jimin tourne et vire dans la chambre, choisit un bracelet et met ses boucles d’oreilles, reprend son manège et s’arrête au milieu de sa chambre, les bras le long du corps, les épaules tombantes.

“Quoi encore ?” s’impatiente Jungkook.

— Je ne peux pas y aller.

— Pourquoi ?

— C’est la lecture ce soir.

Jungkook ne saisit pas. Il croise ses bras sur son torse et secoue la tête.

— Oui, et ?

— C’est la remise des prix ! Le résultat du concours !

“Oh, putain ! Le concours ! Jimin ! Le professeur Kim Namjoon !”

Parfaitement réveillé à présent, Jungkook reconnecte les morceaux. Jimin est nerveux.

— Ha ! C’est génial !

Jungkook se mettrait bien une claque, là, tout de suite maintenant. Il n’a rien trouvé de mieux à dire.

— Non ! C’est pas génial ! s’énerve Jimin.

Il reprend son manège dans la chambre, ses va-et-vient. Jungkook commence à avoir la nausée.

“Il me faut un café !”

— Mais si…

“Putain, Jungkook, tais-toi ! Tu vois bien que tu ne fais qu’empirer les choses.”

— Mais non ! J’ai lu la dernière lettre ! Et tu sais quoi ? Hein ?

Non, Jungkook ne sait pas. Il ne sait plus. Il réfléchit à mettre en œuvre sa technique de dernier recours. Il ne voit pas d’autre issue. Il entend bien Jimin baragouiner les mots “petit prince”, “renard”, “s’attacher” et “tout faire foirer” mais cela n'a aucun sens ; ce ne sont plus que des sons.

Jungkook a besoin de calme.

Jimin doit aller au travail.

Les jambes de Jungkook prennent la décision pour lui. Il fait les quelques pas qui le séparent de son ami, se baisse, enroule ses bras autour de ses jambes, et fait basculer Jimin sur son épaule.

— HÉ ! JUNGKOOK ! REPOSE-MOI TOUT DE SUITE !

Jungkook est en pilote automatique. Il sent à peine les petit* poings qui s’abattent en rafale dans son dos et les jambes qui s’agitent en vain. Il attrape la sacoche de Jimin restée sur le canapé, le manteau et le bonnet sur la patère au passage. Il ouvre la porte d’entrée, dépose son paquet fulminant et rougissime, lui colle sac, bottines, manteau et bonnet dans les bras et referme la porte.

— Je… Tu…

— Bonne journée, Jiminie hyung !

“Enfin le calme !”

Chapter 12: Machiavel et Sophocle

Chapter Text

Depuis le comptoir de la librairie, Taehyung aperçoit Jimin descendant du bus. Il sait que Jimin bougonne en avalant à grandes enjambées les quelques mètres qui le séparent de la boutique, et grommelle en arrivant devant la porte.

Taehyung sourit en repensant à l’appel paniqué de Jungkook d’il y a quelques minutes.

“Tu m’envoies un message dès qu’il arrive, hein ?”

Taehyung se dirige avec nonchalance vers le petit coin de la librairie qu’il réserve aux animations. Et, toujours avec le même air détaché, il sort son téléphone de la poche de son pantalon à pinces.

— Il arrive. Tout beau et tout grincheux.

Tu peux respirer maintenant.

Taehyung ne prend pas la peine de lire la réponse. Quand son téléphone lui indique que Jungkook a répondu, il lève les yeux au ciel.

“Il se prend pour sa mère, ou bien ?” pense-t-il d’abord. “Qu’il me laisse faire.”

Taehyung est un jaloux. Un adorable jaloux. Il concède avec peine du terrain à Jungkook. Et, bien que Jimin soit leur aîné à tous les deux, Taehyung ne peut s’empêcher de le couver. C’est ainsi. Il en a conscience. Il fait avec. Il en est plutôt fier.

Il se dit aussi qu’ils font plutôt du bon boulot, lui et la montagne de muscles aux yeux ronds : Jimin sourit et manifeste de nouveau des émotions. Le mur d'indifférence qui avait suivi les jours de désespoir n'est plus.

Taehyung fredonne en commençant à disposer la grande table pour l’auteur, son meilleur ami, et son agent. Il se réjouit de la soirée par anticipation. Il aime tant ces moments intenses d’échange entre les lecteurs et l’auteur. Il sent presque l’électricité du stress, de l’excitation, de l’admiration passer par son propre corps. Pour rien au monde, il ne voudrait changer de métier !

“Dling, dling” chantonne la clochette quand Jimin franchit le seuil.

— Jimin-ah, viens m’aider avant que les clients n’arrivent. On sera débordés ensuite.

Taehyung entend le froissem*nt des vêtements qu’on retire et accroche, le claquement des talons des Chelsea de Jimin sur le parquet lustré par les ans, puis un souffle familier tout près de son oreille. Jimin pose son menton sur l’épaule de Taehyung et noue ses bras autour de son estomac. Taehyung lève le bras et passe sa main dans la chevelure soyeuse de Jimin.

— Matinée compliquée ? dit Taehyung d’une voix de velours.

Seul un ronronnement lui répond. Taehyung aimerait faire durer ce moment, mais il y a tant à faire aujourd’hui ; habituellement, c’est Jimin qui met un terme à leurs embrassades. Taehyung se réjouit ; il pressent que Jimin se laisse enfin aller aux sentiments.

“Bienvenue dans le monde des vivants !” pense Taehyung.

Taehyung se détache avec délicatesse et reprend sa tâche. Jimin s’active auprès de lui en silence. Mais ce n’est pas un silence pesant. Ce silence n’est pas vide ; il est plein de connivence, de la douce présence de leur amitié ; il s’écoule entre les deux hommes et les lie sans effort.

Il est bientôt rompu par la librairie qui s’éveille.

“Dling, dling”

Les premiers clients sont là. À l’odeur de pain chaud et au rire tonitruant, Taehyung sait que Jimin est aux prises avec l’inénarrable acteur.

Taehyung sourit.

La matinée passe en un clin d'œil.

Jimin s’active derrière la caisse quand Taehyung s’exclame :

— Ha ! C’est l’heure !

Jimin lui lance un regard plein d’interrogations.

— Au revoir, madame, fait Jimin poliment à la cliente qui s’évertue à faire entrer les deux énormes volumes des Misérables dans son tout petit sac.

Taehyung sifflote en nouant son écharpe autour de son cou.

— Alors ? L’heure de quoi ? s’impatiente Jimin.

— Je vais chercher notre auteur à l’aéroport, chantonne Taehyung.

— À l’aéroport ? s’étonne Jimin.

— Hummm… Il revient de Londres avec son agent. Ils essaient de faire publier Jung à l’étranger. Je déjeune avec eux et nous reviendrons pour la lecture, ajoute Taehyung. Je te confie la librairie.

— D’accooord… répond Jimin d’un ton un peu traînant, celui qu’il prend lorsqu’il est vaguement contrarié.

Taehyung imagine que Jimin est jaloux et aurait aimé déjeuner avec eux.

— Bye ! C’est toi mon préféré ! gazouille Taehyung sans se retourner.

Taehyung est heureux. Sa librairie est en bonne santé, il aime la femme la plus formidable qui soit, le plus beau bébé du monde sera bientôt dans ses bras, il est entouré d’amis qu’il apprécie, et - ce n’est pas rien, c’est même l’aboutissem*nt d’années de travail - Jimin sort enfin de sa coquille.

Taehyung est accueilli à l’aéroport par un Jung Hoseok solaire et volubile. L’homme se réjouit de le rencontrer et le serre dans ses bras comme s’ils étaient amis de longue date. Derrière lui, un homme plus petit, au visage de poupée, le regarde d’un air sévère, peu engageant.

Taehyung n'est pas impressionné le moins du monde.

Taehyung n’a que faire des conventions telles que l’espace personnel. D’un pas décidé, il tend la main à Min Yoongi. Taehyung sent la main de l’autre se crisper dans la sienne. Il n’en a cure. Il s’en amuse même. Pour pousser l’homme plus loin encore dans ses retranchements, il lui offre une franche accolade. Yoongi souffle d’abord en signe de protestation avant de se détacher. Taehyung ne tient pas compte des yeux quasi fermés, en croissants de lune, qui le dévisagent âprement. Il serre la main de M.Kang, l’agent de Jung Hoseok, et lui annonce qu’une réservation les attend à Séoul, au restaurant L’espoir du hibou.

Taehyung adore l’écrivain. C’est un homme prolixe tant en mots qu’en bons sentiments. Taehyung sent ces choses-là. Jung Hoseok a sa sympathie ; il sera son ami, lui aussi !

Le trajet d’Incheon à Gangnam-gu est très agréable. L’écrivain s’intéresse à la soirée organisée par la librairie, les ventes, et Jimin, le vendeur et meilleur ami de Taehyung. Il pose mille et une questions sur le concours. Il se trémousse même sur son siège lorsque Taehyung lui annonce qu’il les a, là, les lettres, dans sa sacoche.

La bonne humeur de Jung Hoseok lui fait oublier la pluie battante, et les regards circonspects de Yoongi dans le rétroviseur, bien que moins chafouins qu’à l’aéroport.

M. Kang demande à faire un détour pour déposer leurs effets à l’hôtel. Taehyung s’y plie avec grâce. À moitié plongé dans le coffre, pour en sortir l’énorme valise de l’auteur, il ne voit pas arriver Yoongi. Les mains du musicien attrapent la poignée, extirpe le bagage sans effort apparent, et grogne.

— Laisse ça, je m’en occupe.

De surprise, Taehyung se redresse brusquement et se cogne le sommet du crâne contre la porte du coffre de sa voiture.

Taehyung aurait pu râler, pigner, protester, incendier Min Yoongi sur son manque de manières, sur son côté franchement antipathique. Il se sait en être tout à fait capable.

Mais, il éclate de rire. Il rit franchement à s’en tenir les côtes. Yoongi est effroyablement possessif ; il veille sur Hoseok comme une mère renarde sur ses petit*. Finalement, il l’aime bien ce grognon de Min Yoongi ; il est comme lui, qui protège tous crocs dehors Jimin !

— Il a un grain, lui, se contente de ronchonner Yoongi à Hoseok en montrant Taehyung du menton.

Taehyung est pourtant sûr et certain de le voir se détendre un peu.

Adossé à son SUV, avec indolence, il observe les trois hommes confier leurs affaires à la bagagerie de l’hôtel rutilant.

“Je devrais offrir à Danielle une nuit dans un hôtel de luxe comme celui-ci. Elle serait enchantée !”

Taehyung a déjà décidé. Il fera la surprise à sa fiancée. Il sera aux petit* soins pour elle et pour leur “cacahuète”.

Taehyung est perdu dans ses pensées quand ils reviennent vers lui.

— Cette journée va être longue.

Yoongi ronchonne à peine. Il pique même du nez et rougit quand Taehyung revient enfin à lui, lui sourit et lui ouvre la porte avec une élégance rare, bien qu’un peu empruntée. Hoseok rit dans sa barbe avant de s’installer lui-même à l’avant du véhicule sans attendre que Taehyung l’y invite. Taehyung fait le tour de la voiture et s’apprête à recommencer son manège pour l’agent.

— Ça ira ! s’amuse M. Kang en lui adressant un clin d'œil. Je ne suis pas une princesse.

Yoongi s’agace sur son siège, croise les bras sur sa poitrine à la manière du grand-père de Taehyung.

— Parce que j’ai l’air d’une princesse, moi, peut-être ?

Depuis le siège conducteur, Taehyung le scrute de la tête aux pieds.

— Tout n’est pas perdu ; tu as du potentiel.

Cette fois, c’est M. Kang qui éclate de rire le premier devant la mine atterrée de Yoongi. C’est plus un hoquet qu’un rire, non, plutôt un braiement. Taehyung est fier de lui ; il boucle sa ceinture avec des gestes lents et ses dents se découvrent derrière ses lèvres qui s’étirent inexorablement, alors que l’écrivain rit de bon cœur lui aussi.

***

Attablés au restaurant, à peine leur soupe à l’oignon terminée, la conversation bat son plein autour des participants du concours. Hoseok lit les cinq premières lettres de Namjoon, les sourcils froncés. Yoongi lit par-dessus son épaule.

— Vraiment ? C’est lui le gagnant du concours ? demande le musicien.

Taehyung est déstabilisé ; il remercie à peine le serveur qui dépose avec minutie son assiette de confit de canard.

— Oui, répond-il simplement.

— Quel est le problème ? interroge M. Kang en s’emparant de la pile de lettres.

Aucun ne l’interrompt lorsqu’il commente à haute voix au fil de sa lecture.

— J’ai rarement vu une telle écriture… hummm… intéressant… Oh, jolie tournure !

Taehyung se détend en entendant les compliments. Il n’a pas perdu son jugement.

Yoongi hausse les sourcils. C’est sa manière muette de dire “Donc ?” à l’agent de son meilleur ami.

— Je ne vois pas ce que tu lui reproches, Hoseok-ssi.

Sans laisser le temps à l’auteur de s’expliquer, M. Kang se tourne vers Taehyung.

— Parlez-moi de lui.

Taehyung s’exécute avec jubilation. Il raconte tout ce qu’il est mesure de dire, n’hésite pas à ajouter des superlatifs. Après tout, il s’agit de son meilleur client, un ami, le futur amant de Jimin (il n’en doute pas une seconde) !

— Namjoon ? Kim Namjoon ? s’étouffe Yoongi sur une bouchée de saumon en croûte.

Taehyung acquiesce, Hoseok lui tapote gentiment le dos, alors que M. Kang attend la suite.

— Le musicien ?

Cette fois, Taehyung fait non de la tête, croque goulûment dans un morceau de pain avant de répondre la bouche pleine.

— Non, il est profecheur de franchais.

— Professeur de français ? Professeur de français ?

Yoongi qui paraissait peu amène et si apathique s’agite à présent. Tout son corps prend vie d’une drôle de manière. Taehyung est fasciné et n’entend que des bribes des mots qui jaillissent de la bouche du producteur. Hoseok frappe dans ses mains.

— Non ? Sans déconner ? In-cro-yable ! Après tout ce temps ! Quel hasard !

Taehyung comprend que lui et le petit homme aux yeux de chat sauvage parlent du même Namjoon.

— Il faut que je le vois ! déclare Yoongi, déterminé.

— Tu le verras, commence Taehyung avant de se mordre la langue et de se reprendre ; le musicien semblant être très à cheval sur la politesse. VOUS le verrez d’ici peu ; il ne manquera pour rien au monde la lecture et la séance de dédicace.

Taehyung ne comprend pas bien ce qui se trame. Il constate juste que Yoongi semble ému et agité. Il regarde sa montre à plusieurs reprises et pianote longuement sur son téléphone.

Taehyung s’inquiète. Il n’aime pas que Min Yoongi s’intéresse de trop près au professeur. Taehyung n’a pas besoin d’un obstacle supplémentaire dans la réalisation de son plan.

“Et s’il croit pouvoir voler Kim Namjoon à Park Jimin, il se met le doigt dans l'œil, le petit machin !”

Taehyung est également préoccupé par la réaction de l’écrivain face aux lettres de Namjoon. Il a besoin de savoir.

— Donc, pour en revenir au gagnant ?

L’écrivain a l’air embarrassé. Il plie sa serviette, la lisse du plat de la main avant de se lancer.

— Le thème du concours, celui que vous avez choisi, était bien “lettres à mon meilleur ami” ?

Taehyung opine mais ne comprend toujours pas. Hoseok soupire.

— Ce ne sont pas des lettres à un ami, dit très vite Hoseok. Ce sont des lettres d’amour.

— Haaaa ! Pertinent ! Tout à fait pertinent, reconnaît M. Kang alors que Taehyung se laisse choir contre le dossier de sa chaise.

Taehyung ne peut contester. Ce sont, de toute évidence, des missives douces, sentimentales, passionnées. Maintenant que Hoseok le dit, Taehyung ne voit plus que ça. Il se sent dépité.

Comme si Hoseok devançait sa prochaine question, il glisse une petite pile de lettres vers le libraire contrarié.

— Celles-ci sont charmantes ! Elles respectent le thème du concours. Je les aime bien.

C’est la participation de Seo Hyeon-jin, la lycéenne au caractère bien trempé. Taehyung s’en souvient. Il l’admet, ces lettres adressées à Paul sont délicieuses et bien écrites.

— C’est notre gagnante, donc ? demande l’écrivain.

Taehyung ne peut qu’approuver. Il déteste l’idée d’avoir laissé ses sentiments et ses fantaisies embrouiller son jugement. D’autant plus qu’il a une haute estime de son intelligence. Par ailleurs, il ne se voit pas contrarier l’écrivain. D’abord, parce qu’il est son invité et qu’il a eu la gentillesse d’accepter de faire une lecture sans demander de rémunération ; ce qui est rare pour un auteur de cette envergure. Ensuite, il doit admettre que son meilleur ami, Min Yoongi, l’intimide quelque peu. Et Taehyung fuit les conflits, surtout ceux où il sent que son charme ne sera d’aucun secours.

Sa contrariété se dissipe avec du caramel craquant et la douceur d’une crème riche qui nappe sa langue avec délice. Toutes ses pensées s’évaporent devant sa crème brûlée. Yoongi l’observe avec amusem*nt lécher avec délectation sa petite cuillère. Taehyung l’ignore superbement. Du moins, c’est ce qu’il essaie de faire.

Brutalement, une idée implacable le percute. Taehyung n’est plus le Machiavel du XXIème siècle. Son plan finement ciselé vient de prendre l’eau !

“Namjoon ne va pas pouvoir réclamer la journée avec Jimin !”

— Fichtre ! s’exclame soudain Taehyung.

— Fichtre ? pouffe Yoongi.

Mais Taehyung ne parvient pas à s’expliquer.

Ses pensées tournent, et virent, et fusent, encore et encore. Même pendant la visite promise au musée qui suit le déjeuner au restaurant. Taehyung ne s’aperçoit pas qu’il délaisse ses invités.

Et c’est dans un état second qu’il convie les trois hommes à pénétrer dans sa très chère librairie.

“Dling, dling”

Taehyung pense qu’il ne veut pas être dans une tragédie de Sophocle avec ses retournements de situation et ses drames inéluctables.

Taehyung veut du Julia Quinn ou du Emma M.Green pour son Jimin, de la romance, de la pure, voire même de la new romance !

Chapter 13: Lundi 13 octobre 2025

Chapter Text

Jimin est nerveux. Ses mains tremblent lorsqu’il les passe dans ses cheveux. Il a l’impression que son cœur bat de manière hiératique. Il passe aux toilettes plus souvent que nécessaire, vérifie encore et encore son apparence dans le miroir.

Jimin gronde son reflet.

— Cesse de trop penser ! Tout ira bien.

“Dling, dling”

Jimin sursaute. Il enfouit ses mains dans les manches de son gros pull irlandais, prend une grande inspiration, et rejoint le comptoir avec le plus joli sourire dont il est capable.

En premier lieu, Jimin est surpris par l’allure des nouveaux arrivants. Ils respirent l’assurance. Jimin pense que la photographie sur le livre ne rend pas justice à l’auteur ; il est infiniment plus attrayant et plus impressionnant en chair et en os. Jimin se souvient de leur première rencontre et cela ne l’avait pourtant pas marqué à ce point.

“J’étais trop imbu de moi-même… probablement…” pense amèrement Jimin.

Son agent, M. Kang, bien que plus âgé, est également un homme séduisant. Jimin se dit que cela doit faciliter les négociations d’avoir une telle allure.

Et puis, il y a cet homme plus petit, derrière eux, mais avec un visage plus diaphane, plus lumineux, plus beau encore. Jimin a des frissons qui lui parcourent l’échine quand ce dernier croise son regard et le salue silencieusem*nt.

Lorsque ceux-ci s’approchent de Jimin pour le saluer, il voit enfin Taehyung. Sa mine ne lui dit rien qui vaille. Il semble avoir perdu de sa superbe. Son front plissé trahit ses préoccupations. Jimin n’a pas le temps de l’interroger ne serait-ce que du regard ; Jung Hoseok lui secoue déjà la main et le complimente sur ses cheveux, ses bijoux.

— Toujours aussi éblouissant ! Je suis content que nous ayons l'occasion de nous revoir !

Jimin rougit. Jimin aime les compliments.

Tout se déroule très vite à compter de cet instant. Jimin doit délaisser Taehyung et ses invités pour rouvrir la librairie et accueillir les clients qui se pressent. La porte, restée ouverte, fait entrer l’air frais et les odeurs de béton mouillé. Les ronflements des moteurs des voitures qui passent et les “pfchiii” des jets jaillissant de sous les pneus couvrent les conversations feutrées du petit salon de lecture.

Jimin se laisse absorber par les bruits de la rue et les parfums de l’automne, là, près de la vitrine, maintenant que le flot des clients se tarit un peu. Il joue du bout du doigt avec sa boucle d’oreille. Il fait taire les frissons qui caracolent sur sa peau en serrant ses bras autour de lui.

Et le voilà enfin !

Il traverse la rue après avoir sagement attendu que le feu piéton passe au vert. Il avale le bitume à grandes enjambées, le dos courbé sous la pluie battante. Il s’abrite sous sa sacoche. Jimin remarque, à mesure qu’il s’approche, que le bas de son pantalon gris est plus sombre que le reste ; il est probablement humide. Jimin se surprend à avoir envie de l’accueillir avec une grande serviette éponge et un café tout chaud.

Essoufflé, des mèches gouttant sur son front, ses tempes, son cou, Namjoon est maintenant face à lui. Un sourire confus et adorable creuse ses joues, réduit ses yeux à deux belles et grandes virgules.

— Bonsoir, Jimin, dit-il d’abord avant de poursuivre avec un rire gêné. Je me suis fait surprendre par la pluie. Enfin, tu peux le voir par toi-même, ajoute-t-il embarrassé par ses propres mots.

Tout s’agite, tressaille et bondit en Jimin.

“Qu’est-ce qui me retient de lui sauter au cou, là, tout de suite, maintenant ?”

C’est peut-être parce qu’il voit Namjoon frissonner légèrement, là, dans le courant d’air du pas de la porte, que Jimin parvient enfin à réagir.

— Bonsoir, Namjoon. Tu ruisselles. Entre.

Sa voix est plus ténue qu’il ne le souhaiterait. Il tend déjà les mains pour débarrasser Namjoon de son pardessus, de son écharpe et de sa sacoche. Namjoon se laisse faire et suit Jimin qui accroche les vêtements du professeur près de son propre manteau. Aucun autre client n’a eu le droit à ce traitement de faveur.

Dans la petite pièce, près d’eux, Jimin entend Taehyung commencer son discours de bienvenue.

— Oh, ça commence déjà ! s’enthousiasme Namjoon.

— Oui…

Jimin fronce son petit nez. Il ne trouve rien de mieux à dire malgré les heures passées à faire et refaire dans sa tête, devant le miroir, dans son sommeil, cette conversation. Au lieu de cela, il est laconique, et si maladroit !

Namjoon s’apprête à rejoindre la dernière rangée de chaises pour prendre place quand Jimin le retient par la manche. Il l’entraîne quelques pas en arrière, à l’abri des regards. Dans son autre main, il a un malheureux mouchoir en papier avec lequel il tamponne délicatement le front, les tempes, les joues, puis le cou de Namjoon. C’est une tâche très importante. Jimin se concentre, haussé sur ses pieds en demi-pointes. Sa main gauche prend appui sur l’épaule ferme du professeur. Cette épaule remplit délicieusem*nt le creux de la main de Jimin. Le parfum de Namjoon l’enveloppe. Jimin sent les yeux de Namjoon courir sur son visage, s’attarder sur ses lèvres. Jimin frissonne et fait durer plus que de raison son devoir de chasser la moindre goutte de pluie de la peau de Namjoon. De près, il découvre des grains de beauté qu’il n’avait jamais vus auparavant. Il dresse mentalement une carte qu’il espère parcourir plus tard de la pulpe de ses doigts ou de ses lèvres.

“De véritables constellations à découvrir”

Quand Namjoon pose une main sur sa taille et lui murmure un merci, Jimin se fait plus pliant qu’il ne serait judicieux de l'être à un tel moment et dans un tel lieu.

— On devrait… commence Namjoon.

Jimin redescend sur ses talons, laisse glisser sa main le long du bras de Namjoon, froisse le mouchoir humide, baisse la tête.

Jimin est embarrassé. Jimin veut cacher son dépit et son impatience.

— Va. Je vous rejoins tout de suite.

— Je peux ?

Jimin est surpris par une telle question. Pourquoi lui demander la permission ?

— Évidemment !

Mais Namjoon ne le laisse pas pour rejoindre le salon de lecture. Il se penche sur lui. Le cœur de Jimin, “ce traître !” , se remet à faire des siennes. Quand Namjoon lève son menton d’une seule main, c’est le bas ventre de Jimin qui crépite et brûle. Et quand les lèvres de Namjoon se posent sur les siennes, ce sont ses bras qui s’enroulent malgré lui autour de son cou.

C’est bien trop court, bien trop bref, bien trop sage ! Jimin en veut plus, maintenant.

Mais Namjoon s’éloigne déjà et Jimin doit revêtir sa peau de Park Jimin, vendeur en librairie.

“Dling, dling”

C’est idiot, lorsque Jimin referme la porte de la librairie, il a le sentiment qu’il vient de clore un chapitre de sa vie et d’en commencer un nouveau. Il rit silencieusem*nt de son indécrottable romantisme.

Il s’adosse à une bibliothèque dont les étagères ploient sous le poids des ouvrages pour écouter Jung Hoseok et son ami Min Yoongi lire des passages du livre et les commenter. Les clients soupirent, s’exclament et rient de conserve. Jimin est ravi ; Taehyung a encore fait du bon travail.

Taehyung, au bout de la table, semble être plus détendu qu’à son arrivée. Jimin voit bien que, lui aussi, savoure ce moment.

Quelques personnes serrent un exemplaire du livre contre leur poitrine, d’autres l’ont sur leurs genoux, et un lycéen joue nerveusem*nt avec le sien. Jimin l’observe. Le garçon fait rouler un angle de la couverture sous ses ongles, il boit du regard les mots de Jung Hoseok, il se redresse parfois pour mieux le voir.

Jimin s’amuse de voir naître un nouvel amoureux des mots et des livres. S’il avait l’aplomb de Taehyung, il prendrait plus d'initiatives dans la librairie. Jimin fourmille d’idées, lui aussi !

Yoongi surprend Jimin. Depuis quelques instants, il fixe un objet sans battre des cils. Il semble entretenir une conversation silencieuse avec lui. Et cet objet n’est autre que Namjoon. Jimin s’agace : une foule de questions l’assaillent malgré lui. Et quand il s’aperçoit que Namjoon répond par un hochement de tête, il déteste ce sentiment pernicieux qui s’invite.

“De la jalousie. C’est de la jalousie ! Comme c’est puéril !”

Taehyung prend de nouveau la parole. Avec emphase, il annonce qu’il est l’heure de connaître la personne ayant remporté le concours. Jimin s’approche un peu, quelques pas derrière les dernières chaises. Puis encore un peu plus, jusqu’à poser sa main sur le dossier de celle de Namjoon. Ce dernier se retourne, lève le menton pour lui adresser un clin d'œil.

Jimin est de nouveau surpris, mais cette fois c’est l’euphorie qui l’envahit. À n’en pas douter, il se trouve sur le grand huit des émotions vives et contradictoires.

Taehyung se perd dans des circonvolutions.

“Comme s’il avait vraiment lu toutes les lettres et ne m’avait pas délégué la corvée !” ironise Jimin.

— Mademoiselle Seo Hyeon-jin, appelle Taehyung.

La jeune fille bondit de sa chaise en poussant un petit cri de souris. Ses camarades l’acclament bruyamment.

Jimin, incrédule, regarde les lycéens encerclant Hyeon-jin pour la féliciter, Jung Hoseok qui l’applaudit chaleureusem*nt, et, enfin, Taehyung. Ce dernier lui adresse une moue que Jimin ne connaît que trop bien, celle qui dit : “Désolé, je n’ai pas pu faire autrement.”

Ce n’est qu’un petit concours d’écriture. Jimin ne devrait pas se sentir trahi. Ce n’est même pas lui qui a participé. Non, ce n’est pas lui. C’est Namjoon.

“Comment va-t-il ? Il doit être si déçu.” pense Jimin.

Mais Namjoon, comme lui, quelques instants auparavant, regarde l’explosion de joie du côté de ses élèves. Il sourit même. Quand la lycéenne se retourne vers son professeur, rayonnante, il lui offre un pouce en l’air.

Hyeon-jin s’approche de la table timidement, s'empourpre quand les adultes lui serrent la main pour la féliciter à leur tour.

“Un comble !” s’amuse Jimin en repensant à tous les moments où elle s’était montrée hardie et effrontée envers lui.

Taehyung propose à la jeune fille de lire une de ses lettres ou de dire quelques mots. Elle fait non de la tête. Alors, Hoseok propose de le faire.

— Je vais choisir celle que je trouve la plus craquante !

Jimin se souvient de ses lettres. Oui, lui aussi, avait trouvé qu’elles sortaient du lot. Mais, tout de même, elles ne valaient pas celles de Namjoon !

Hyeon-jin après quelques nouveaux applaudissem*nts s’apprête à regagner sa place quand Taehyung rappelle à tous qu’il y a une récompense. Quelques jeunes filles se retournent vers Jimin. Elles chuchotent, cachent leur rire derrière leur main.

— Que choisis-tu ? finit par demander Taehyung, une belle et grande enveloppe déjà dans les mains.

La lycéenne fixe Jimin, lui sourit. Ce n’est qu’une enfant, et pourtant Jimin ne peut se retenir d’afficher un air glacial et hautain. L’idée d’offrir une journée en sa compagnie était déjà une vaste farce qu’il avait eu du mal à digérer. Alors devoir s’y plier avec une autre personne que Namjoon, de surcroît une adolescente, le révolte. Hyeon-jin fronce les sourcils, soupire et se tourne vers Taehyung.

— Le bon d’achat, évidemment.

Des “pffff” et des “oooohhhhhhh” de déception s’élèvent du côté des lycéennes. Les adultes, près d’elles, s’en amusent. Le raclement des chaises et la bousculade polie annoncent le début de la session de dédicaces.

— Je reviens, lui dit Namjoon en lui pressant légèrement le bras.

Namjoon s’insère dans la petite file impatiente. Il se retourne plusieurs fois vers lui avec cet air trahissant son excitation. C’est véritablement adorable aux yeux de Jimin.

Il pourrait s’oublier à la contemplation de ce géant merveilleux mais sa poche vibre. Encore.

Aujourd’hui, quantité de souhaits lui sont parvenus. De tous, ce sont ceux de son père qui l'ont le plus touchés. Perdue au milieu d’un immense bouquet de fleurs aux couleurs chaudes, une carte disait en quelques mots simples combien son père l’aimait et combien il lui manquait. Jimin, pour la première fois depuis des mois, s’est senti l’envie de retourner à Busan, dans la maison familiale ; il ne se sentait plus abattu rien qu’à l’idée qu’on lui demande comment il va et s’il a des projets.

Cependant, Jimin est un peu amer. Aucun de ses amis ne lui a souhaité son anniversaire ! “Moi, je n’oublie jamais le leur !” Il voudrait penser que ce n’est rien et que 30 ans est un âge comme un autre, mais il n’en est rien.

Son visage s’adoucit et s’éclaire.

L’écran de son téléphone affiche un gâteau d’anniversaire sur lequel les flammes des trois bougies ondulent de manière étrange alors que des confettis multicolores jaillissent et tombent avant de se figer.

“Enfin ! Il y a pensé ! Mon petit mulot…”

Joyeux anniversaire, hyung ! 🎂

Tout se passe bien ?Tu penses rentrer bientôt ?

— Mimi ?

Taehyung est là, près de lui. Il ne l’a pas entendu approcher.

— Mmm ? ne peut que répondre Jimin qui sent bien qu’il a du mal à masquer sa déception.

— Je voulais m’expliquer. Tu me suis ?

Jimin se laisse conduire dans l’arrière-cour. La pluie s’est tarie mais l’air reste humide et vraiment frais. Jimin frissonne alors que son meilleur ami lui tend la flamme de son briquet pour allumer sa cigarette. Les explications de Taehyung font sens. Jimin comprend les arguments.

Est-ce l’effet du tabac ou le discours sincère et posé de Taehyung ? Toujours est-il que Jimin se radoucit. Et lorsque Taehyung sort de la poche de son veston un petit paquet orné d’un ruban de soie rouge en lui souhaitant un très joyeux anniversaire, Jimin ne retient plus ses larmes.

C’est une paire magnifique de pendants d’oreilles en or rose et blanc ; deux petit* cadenas sertis de pierres brillantes. Certainement des diamants compte tenu du coffret vert estampillé Tiffany.

Jimin a le souffle coupé. Ces bijoux valent probablement une fortune.

— Je ne peux pas ! Tae. C’est beaucoup trop !

— On ne fête pas tous les jours ses trente ans. Laisse-moi faire, répond Taehyung visiblement très ému. Et, puis, c’est un grand jour, n’est-ce pas ? ajoute-t-il en retirant les petit* clous que Jimin porte. Je ne parle pas seulement de notre grand maladroit de séducteur mais aussi de toi, poursuit-il alors que ses mains tremblent un peu. Tu sais, je sens ces choses-là. Tout va changer, non ?

“Tout va changer…”

Jimin regarde les cendres incandescentes de sa cigarette voleter avant de disparaître sur le béton humide. Jimin craint le changement. Avant, il courait après l’inédit ; chaque journée devait lui apporter son lot d’excitation et d'inattendu. Et puis il y a eu cette blessure de trop, ce bouleversem*nt imprévisible. À compter de ce jour, Jimin s’est mis à craindre toute nouveauté, tout ce qui sortait de son quotidien rassurant. Sa vie était à présent ponctuée de rituels immuables et sécurisants.

Jimin voudrait s’écrier que non, sa place est ici, près de Taehyung, et Jungkook, mais les mots ne viennent pas. Alors, il écrase son mégot du talon et se glisse dans les bras de son meilleur ami. Le nez de Taehyung froisse sa chevelure.

— Moi aussi, je change ! Je vais être papa.

Jimin recule de quelques pas et plisse les yeux.

— Mmmm, non, je ne crois pas. Toujours égal à toi-même.

Et devant la mine boudeuse de son meilleur ami, Jimin s’empresse d’ajouter :

— Incroyable, tu es incroyable ! Incroyable et merveilleux. Ne change pas trop, s’il te plait.

Taehyung cache son émotion derrière un rire enfantin. Il attrape Jimin par le cou et l’entraîne de nouveau à sa suite dans la librairie.

— Allez, on clôt cet événement et on va fêter ton anniversaire dignement. Si on lambine trop, Jungkook va me pondre une pendule.

— Hein ?

Mais Jimin n’a pas sa réponse ; Taehyung est déjà pris d'assaut par des lecteurs enchantés. Jimin soupire, joue avec un de ses pendants d’oreilles comme il a l’habitude de faire lorsqu’il s’ennuie, s’inquiète ou se perd dans ses pensées. Il cherche Namjoon du regard. Il est là, à l’autre bout de la pièce, en grande conversation avec l’ami de Jung Hoseok. Le fameux Yoongi. Jimin se sent d’humeur territoriale. Il s’approche à pas de velours. Il surprend les deux hommes alors qu’ils échangent leurs numéros. Namjoon est radieux.

— Tarde pas, ok. C’est une sacrée opportunité !

— Quelle opportunité ? demande Jimin en se glissant tout près de Namjoon.

— Ha, heu, en fait… bafouille Namjoon.

— Ma boîte cherche un producteur pour notre filiale à L.A, intervient Yoongi.

Chapter 14: Où, effectivement, tout est sur le point de changer

Chapter Text

Depuis là où il se tient, il lui semble que cette fête surprise est sans doute l’une des plus belles qu’il n’ait jamais eues. Une petite vingtaine de personnes de tous horizons discutent joyeusem*nt. Il y a même, parmi eux, l'auteur et son meilleur ami. Jimin trouve que Jung Hoseok ne dénote pas ; comme s’il faisait partie de son cercle de proches depuis toujours. Cela fait terriblement longtemps que Jimin ne s’est pas senti léger à ce point. Du moins, sans avoir fait appel à quelle substance que ce soit. Il est pourtant là, au plafond, suspendu au-dessus de tous et de lui-même, petite chose au regard vitreux qui passe de bras en bras.

— Tu sais ce que c’est une EMI ?

— Hein ? lui répond Jungkook accroché à sa troisième part de gâteau comme si on était sur le point de la lui reprendre.

— Une expérience de mort imminente.

La lassitude se lit dans les yeux de Jungkook. Il pose son assiette, retire la flûte de champagne des mains de Jimin, le fait asseoir sur le canapé.

— Hyung ! Arrête. Pas de meurtre ce soir ! Je ne vois pas ce que tu lui trouves. Il est plutôt gentil et sympa ce Yoongi !

Mais il n’y a plus une trace d’agressivité dans le regard de Jimin. Cette fois, Jungkook panique.

— Hyung ? Ça va ?

— J’ai l’impression d’être complètement à côté de mon corps…

C’est une partie de la vérité. Non seulement, Jimin a l’impression de s’observer de l’extérieur, mais, de plus, le temps se déroule très lentement, les bruits de la fête sont assourdis comme s’il les percevait alors qu’il a la tête sous l’eau.

— T’as trop bu. Tu veux une bouteille de DMZ ? On en a au frigo.

Jimin doute que l’ivresse soit l’explication à son état. État qu’il ne s’explique d’ailleurs pas. Est-ce encore un de ces mécanismes de défense pour ne pas affronter les faits ?

Jungkook a organisé une petite fête d’anniversaire pour Jimin, dans leur appartement. Rien d’extravagant. Loin des fêtes dionysiaques que donnait Jimin lorsqu’il était encore danseur étoile. Avec l’aide de Jin, Jungkook a décoré sobrement le salon et préparé un buffet sans exubérance. Il a aussi fait venir quelques amis proches et leurs voisins les plus sympathiques. C’est un exploit aux yeux de Jimin. Non seulement parce que Jungkook peut être d’une timidité maladive mais aussi parce qu’il a fait appel à Taehyung pour l’aider. Et, que ces deux-là aient réussi à s’entendre tient du pur miracle.

Ainsi, alors que Jimin a l’impression de flotter à côté de son propre corps, son chez-lui, sa maison, est pleine de conversations et de rires, les Arctic Monkeys couvrent ce que Yoongi peut bien raconter à Namjoon.

D’abord, la rage. Jimin aurait bien dévissé la tête de l’intrus qui semblait chercher à éloigner Namjoon de lui en lui proposant un job à l'autre bout du monde. “À l'autre bout de l'univers !” pense Jimin. Jimin n’a jamais vu Namjoon aussi exalté. Même les livres n’ont pas cet effet sur lui !

Ensuite, la tristesse : Jimin imaginait que, ce soir, Namjoon serait l’heureux gagnant et demanderait à passer la journée avec lui. Et, même si cela n'arrivait pas, Jimin était certain qu’il trouverait l’opportunité de le faire lui-même.

— Il a quoi, le petit machin ? demande Jin en s’asseyant sur la table basse face à eux.

Jimin n’a pas la force de répliquer. Il s’enfonce dans le canapé et attrape un coussin qu’il serre tout contre lui.

— Il parle de mort imminente… grogne Jungkook.

Jin les dévisage tous les deux un court instant avant de s’esclaffer. Il les pointe du doigt tour à tour.

— C’est fou ! Ce regard de chien battu. Vous avez la même tête quand vous êtes contrariés ! Lequel a déteint sur l’autre ?

Cette fois, c’en est trop ! Jimin repose vivement le coussin, se redresse, et plante ses yeux dans ceux de Jin.

— Je ne m'apitoie pas ! Pas du tout !

Jimin peut au moins accorder cela à Jin. Il a réussi à le ramener sur terre, à le secouer.

— Hum, hum… si tu le dis, rétorque Jin pas impressionné le moins du monde. Tu viens faire une partie, mon lapinou ?

Jimin observe un court instant Jin embarquer Jungkook pour une folle partie de NBA 2K24. Jungkook se retourne un bref instant.

— Vas-y, va le voir, articule-t-il sans bruit.

Jimin bascule la tête en arrière et vide d'un trait la flûte que Jungkook lui avait reprise. Il sent chaque particule de son corps reprendre vie. Il se lève lentement, passe la main dans ses cheveux pour dégager son front et, félin, s'avance jusqu'à Namjoon. Il pose une main ferme sur son épaule, croise les jambes, et bascule la hanche pour y poser son autre main. Jimin rend à Namjoon le sourire qu'il lui adresse avant de retourner à sa conversation. Jimin détaille Yoongi d'un œil aiguisé. Il sait à quel point les gens sont mal à l'aise lorsqu'il le fait. Il se fait même le plaisir de mettre en œuvre toutes ces techniques gagnées grâce au monde du travail ultra concurrentiel qu’il a fréquenté. Mais Yoongi ne bronche pas.

— De nous deux, c’était toi le plus talentueux. On a morflé quand t'es parti.

— Je ne suis pas parti, on m'a viré.

Yoongi souffle, grogne. Jimin en fait autant intérieurement.

“Min Yoongi, je ne te laisserai pas me mettre des bâtons dans les roues maintenant !”

— Quelle bande d'enfoirés ! Pas mécontent d'avoir changé de boîte. Tu touches toujours autant ta bille en musique ? T'étais mon modèle !

Namjoon est gêné. Il se frotte la nuque et rit.

Jimin doit admettre qu’il est curieux. Il aimerait en savoir plus sur la vie de Namjoon avant, sa vie lorsqu’elle était moins rangée. Il ne doute pas un instant qu’il puisse l’écouter en parler des heures durant.

— Tu ne disais pas ça, à l'époque, rétorque Namjoon à Yoongi.

Yoongi fait claquer sa langue.

— Mouai… j'étais un petit con arrogant…

Jimin sourit en coin.

— Ça fait longtemps que je ne suis pas allé en studio.

Jimin se sent soulagé un court instant. La musique ne se mettra pas entre eux. C’est de l’histoire ancienne.

— Tu veux dire que c'est terminé ? Plus de musique pour toi ? Alors, c'est vrai ? Tu es prof de français aspirant écrivain ? C'était pourtant ton rêve…

Namjoon passe un bras autour de la taille de Jimin. Ses doigts s'enfoncent légèrement dans sa chair. Jimin frémit. Jimin veut croire que ce geste signifie : “Ne t’inquiète pas, je suis là, je ne vais pas m’envoler.”

— Non. C'est pas ça. La lecture, l'écriture, c'est juste mon passe-temps. Je veux dire, je compose toujours un peu à la maison… mais je ne m’y consacre plus comme avant… J'ai peut-être tout perdu… Tu sais, c'est loin tout ça. C'était dans une autre vie.

Dans la voix de Namjoon, dans la tension de son bras, Jimin sent finalement l'incertitude de Namjoon. Il dit s'être éloigné de la musique mais Jimin perçoit que tout son être vibre à sa simple évocation, comme lui, il y a bien longtemps, face à ses pointes et à la scène. Et il n'est pas le seul : Yoongi n'est pas dupe.

— Arrête… Quand je t'ai parlé du job, tu t'es illuminé comme un sapin de Noël. Et c’est comme le vélo… Y a pas de raison… Bref, penses-y sérieusem*nt et appelle-les d'ici vendredi. J'ai réussi à obtenir qu'ils suspendent les entretiens jusqu’à la fin de la semaine. J'adorerais bosser de nouveau avec toi, comme au bon vieux temps… Bon, je vais y aller. Merci pour l'invitation et encore joyeux anniversaire, ajoute-t-il à l'adresse de Jimin qu'il regarde à peine.

Jimin abandonne sa posture de maître des lieux. Ses épaules s’affaissent et il laisse échapper un soupir.

“L.A, vraiment ?” aimerait-il demander.

Il se doit d'agir ! Il n'a pas quitté le cocon douillet de vies empruntées à des pages imprimées pour ressentir de nouveau la solitude ! Il n'a pas laissé les mots de Namjoon le bousculer pour le laisser partir si vite.

Jimin se tourne vers l'homme qui le couve des yeux et le monde disparaît.

— Je voulais te demander…

— Attends, moi d'abord, le coupe Namjoon.

Ils rient. Jimin attend. Il espère deviner juste.

— Ce n'est pas grave, tu sais, le concours. Je n'aurais, de toute manière, pas demandé à passer la journée avec toi.

Ce n'est pas ce à quoi Jimin s'attendait ! Il recule de quelques pas et tente d'ignorer la boule qui se forme dans sa gorge.

— Ha…

— Non ! Attends… Ce n'est pas ce que tu crois… Merde, je m'y prends comme un pied ! Je… Enfin, tu les as lues, mes lettres… Arghhh… Comment dire ? Je… Enfin… Je veux passer une journée avec toi, et encore une, et une autre encore. Est-ce qu'on… Tu voudrais bien de moi ?

— De toi ? Pour ?

— Comme petit ami ?… c’est comme ça qu’on dit ? Arghhh ! Je ne trouve plus les mots !

Il est vrai que Jimin voit la détresse sur le visage de Namjoon. La peur de la déception laisse lentement place à une douce euphorie. Il s'approche de nouveau et joue avec un bouton de la chemise de Namjoon.

— Petit ami ? Mmm, faut voir, murmure Jimin.

Jimin est assez fier de lui : il exulte de ne pas jubiler à haute voix. Il a le sentiment que les quatre flûtes de champagne l’aide à conserver un air décontracté et digne, alors qu’il voudrait mettre tout le monde dehors, pousser Namjoon jusqu’à sa chambre et lui faire une démonstration de sa ferveur trop longtemps contenue !

Namjoon est étrangement silencieux et immobile. Lorsque Jimin lève la tête vers lui, ce dernier se mordille la lèvre et a les pommettes en feu.

— Et toi ? Que voulais-tu me demander ?

— Une journée rien que tous les deux, dit Jimin en replaçant le col de chemise de Namjoon. Mais, ajoute-t-il très lentement, j’aimerais aussi te demander autre chose.

— Autre chose ?

— Viens.

Jimin glisse sa main dans celle de Namjoon, se faufile entre ses invités, et conduit Namjoon jusqu’à sa chambre.

Namjoon reste planté au milieu du tapis. Il frictionne un de ses bras d’un mouvement nerveux. Il semble soudain plus petit et vulnérable aux yeux de Jimin.

— Assieds-toi, insiste Jimin. Ne fais pas attention au désordre.

Le mot désordre est un euphémisme. La commode et la penderie de Jimin ont vomi tout leur contenu sur le parquet. Les restes de la lutte matinale entre Jimin et son petit mulot sont toujours visibles. Son lit est défait.

Namjoon ne semble pas embarrassé ou porter un quelconque jugement. Il a trouvé le chaton en peluche et joue avec ses petites pattes.

— Trop mignon.

— Cadeau de Jungkook, répond Jimin en furetant dans le seul tiroir qui n’a pas été totalement vandalisé. Ha ! Voilà ! J’ai trouvé !

— Trouvé quoi ?

Jimin se tourne vers Namjoon, les mains dans le dos, un air mutin collé à son visage.

— Un autre cadeau qu’on m’a fait. Qu’on nous a fait.

— Nous ? s’étonne Namjoon. Je peux voir ?

Jimin se hisse à genoux sur son lit et tend une paire de marinières. Namjoon hausse un sourcil, interrogateur, puis déplie les vêtements. Il lit à haute voix les broderies de fil rouge, d’un ton amusé qui fait sourire Jimin.

— “I’m tiny and cute.” “I love tiny and cute things.” Et c’est… ?

— Un cadeau de Jin. Je te raconterai. Essaie.

— Là, maintenant ?

Les oreilles et les pommettes de Namjoon virent au cramoisi. Jimin saisit sa chance. Il chasse l’idée née de son esprit chagrin qui lui souffle qu’il devrait peut-être rester sur la réserve, maintenant qu’il sait que Namjoon a l’opportunité de changer de vie. D’un geste vif et assuré, il fait passer pull irlandais et tee-shirt très doux à manches longues par-dessus sa tête. Namjoon ne semble plus respirer. Il fixe Jimin comme on admirerait un feu d’artifice.

— Tu me le donnes ?

— Hein ?

— Le tee-shirt. Le plus petit. Merci. Allez, essaie l’autre, s’il te plaît.

Jimin s’empresse d’enfiler le vêtement pour ne rien manquer de ce qui va suivre. Namjoon s’agace sur la boutonnière de sa chemise. Ses gestes sont maladroits.

— Approche, souffle Jimin.

Namjoon se tourne timidement, une jambe repliée dans les draps, une à l’extérieur du lit. Il abandonne la peluche au milieu du chaos de coussins. Jimin est déjà tout près. Namjoon sent bon. Pas comme Jungkook qui sent la lessive et le shampooing à la pomme verte. C’est une odeur nouvelle, plus attirante, agréablement dérangeante. Une légère touche de jasmin teintée de musc émane de cette peau de miel sur laquelle Jimin laisse traîner volontairement le bout de ses doigts en défaisant les boutons un à un. Et, maintenant, il passe ses paumes sous le vêtement, les pose sur le torse qui se soulève plus rapidement que le sien encore, les fait glisser avec une lenteur exagérée jusqu’aux épaules pour faire tomber la chemise le long des bras de Namjoon.

“La cerise sur le gâteau” pense Jimin. Il était déjà séduit par l’homme sensible et tendre, par sa voix et son allure. “Il fallait qu’il soit en plus beau comme un camion !” Jimin ne peut s’empêcher de jurer.

— Putain !

Ce simple mot a-t-il agi comme un détonateur ? Malgré l’entrave de la chemise autour de ses bras, Namjoon enroule ses doigts autour de la taille de Jimin et l’attire à lui.

— Tu veux vraiment que j’essaie ce tee-shirt ?

— Embrasse-moi.

Le “moi” à peine dit, la bouche de Namjoon est déjà dans son cou, le long de sa mâchoire, derrière son oreille. La lèvre supérieure de Namjoon accroche la peau de Jimin, suivie de près par le bout de son nez, et son souffle chaud trace un sillage brûlant dans lequel Jimin sème les graines du désir.

“Toc Toc toc”

— Hyung, Jimin hyung, tu es là ?

Jimin s'assoit sur la cuisse de Namjoon, effleure son front d’un baiser.

— Mets ce tee-shirt. J’ai vraiment envie de te voir dedans. J’arrive ! crie Jimin à Jungkook.

Namjoon n’a pas le temps de réaliser que Jimin entrouve déjà la porte.

— Il est à quatre pattes dans la salle de bain… Taehyung, il a trop bu… je ne sais pas quoi faire…

Jungkook aperçoit Namjoon, l’air penaud, qui émerge du tee-shirt. Jungkook rougit, agite la main.

— Oh ! Désolé ! Je ne voulais pas vous…

— T’inquiète, fait Jimin en lui ébouriffant les cheveux. Danielle est partie ?

— Oui, elle se sentait fatiguée.

— Fais pas cette tête, je m’en occupe.

— Je vais chercher la serpillère.

— On devrait les porter samedi prochain, les tee-shirts, dit Jimin à Namjoon. Ils nous vont bien.

Namjoon lisse le tee-shirt d’une main sur son ventre. Il a retrouvé un calme apparent.

— Samedi prochain ?

— Samedi, Taehyung me donnera ma journée et on ira à la plage.

— Samedi, murmure Namjoon alors que Jimin est déjà loin.

Chapter 15: De Muuido à Will Rogers State beach

Chapter Text

La routine reprend ses droits.

Ouvrir la boutique, réceptionner les paquets, accueillir les clients, observer Taehyung prendre joyeusem*nt possession de son domaine.

— Bonjour ! Tout va bien ?

Jimin sait qu’il ne faut jamais prendre une question de Taehyung au premier degré à moins de vouloir l’asticoter. Et, justement, Jimin se dit, qu’après ce qu’il a fait pour lui, la nuit de son anniversaire, il peut bien se le permettre.

— J’ai dormi comme un bébé, sourit Jimin en mettant à jour le site Instagram de la librairie.

Taehyung, qui accroche son écharpe au portant, suspend son geste.

— Mimi, fait-il sur un ton qui signifie “Tu sais très bien ce que je veux dire”.

Jimin sent le regard de Taehyung dans son dos et glousse. Il enroule ses bras autour de son cou, frotte son nez contre la joue de son meilleur ami.

— Allez ! Raconte-moi !

Jimin a envie de faire durer ce moment d’enfantillages parce qu’au fond, bien cachée derrière l’excitation de la nouveauté, se tapit l’inquiétude et tous ses compagnons de mauvais augure.

— Jungkook a fait le grand ménage dimanche. Il en a profité pour passer par ma chambre. Il a refait mon lit avec une nouvelle paire de draps en gaze de coton…

— Jimin-ah ! rouspète à présent Taehyung. Allez, raconte-moi !

Jimin lui offre un petit sourire narquois avant de s’asseoir sur le comptoir. Il balance ses jambes et contemple un instant ses bottines parfaitement cirées (par Jungkook, évidemment).

— Quand tu te vidais au pied de mes toilettes, je l’ai invité à passer la journée de samedi avec moi. D’ailleurs, tu vas me donner ma matinée, ajoute-t-il en faisant un clin d'œil à Taehyung qui trépigne à présent.

— Samedi ? Seulement samedi ??? Mais, mais…

— Et il m’a demandé d’être son petit ami.

Rien qu’à l’évocation de ce souvenir, Jimin rougit et sent son cœur battre plus vite.

— Mais SA-ME-DI ! Mimi ! C’est loin, bien trop loin ! Et s’il accepte l’offre de la boîte de Min Yoongi ?

Tout le visage de Jimin s’affaisse. Il se laisse couler le long du comptoir et soupire.

— Ha… tu es au courant.

— Oui ! Samedi, c’est trop loin. Il faut le convaincre de rester. Tu ne peux pas le laisser filer. Plus maintenant.

— Je sais, répond simplement Jimin en ouvrant un carton.

Taehyung suit Jimin dans la librairie alors qu’il s’active plus que nécessaire.

— Ça va aller, Taehyung, essaie de dire Jimin d’un ton sûr et calme.

— Mais…

Cette fois, Jimin sent remonter toutes ses peurs. Il ne peut pas les laisser reprendre le contrôle de sa vie. Non. Plus jamais.

— Tae, fait Jimin en posant une pile de bouquins sur le bord d’une étagère, je ne veux pas interférer dans sa décision. J’ai volontairement choisi le samedi. De toute façon, les professeurs ne posent pas de congés quand ça leur chante.

— Mais Mimi, écoute…

— Non, toi, écoute-moi, commence à s’emporter Jimin. Bien sûr que j’aimerais qu’il reste. Plus que tout ! Mais je ne veux pas être celui pour qui il abandonne son rêve. Je ne veux pas avoir à porter ce poids. Je ne veux pas qu’il m’en veuille un jour !

— Ce n’est pas son genre !

— Tu n’en sais rien. Tout comme moi, d’ailleurs. Et si lui m’observe et me connaît depuis des années et semble croire qu’il m’aime, ce n’est pas encore tout à fait réciproque. Et s’il n’était qu’une passade pour moi ? Si ça ne marchait pas entre nous ? Je devrais porter la responsabilité de ce double échec. Alors, non, il doit décider seul.

— Mais…

“Dling, dling…”

— Oyé, oyé, moussaillons ! Ça ne tangue plus trop pour vous ?

C’est Jin et sa bonne odeur de pain chaud et de croissants qui vient mettre un terme à cette discussion. Il n’y a plus rien à ajouter et Jimin lui est reconnaissant d’interrompre Taehyung dans sa vaine plaidoirie.

Jimin choisit de se concentrer sur son travail, les clients et toutes les petites choses délicieuses de son quotidien : relire les lettres de Namjoon pelotonné dans son lit sentant le propre, bien enveloppé par sa myriade de coussins, attendre impatiemment ses messages et prendre tout son temps pour y répondre, guetter sa venue à la librairie et l’entraîner derrière les étagères pour couvrir les grains de beauté de son visage de baisers… Et l’attente est si bonne ! Ce qui est à venir n’est pas encore terminé.

Jimin ignore volontairement les signes de nervosité de Namjoon, détourne la conversation lorsqu’il sent que Namjoon souhaite aborder un sujet plus sérieux. “Ce n’est pas une bonne idée, ce n’est pas sain. On ne bâtit pas une relation sur la fuite.” pense Jimin “Mais c’est tout ce dont je suis capable.”

— J’ai dû mal à faire cours. J’ai hâte d’être à samedi ! 💕

— Moi aussi 💞

— Où va-t-on ?

— Muuido. Je ne connais pas la plage de Hanagae.

Il paraît qu’elle vaut le détour.

— Oh ! J’y allais, petit, avec mes parents.

Tu sais, c’était près de chez nous.

— Vraiment ?

Alors tu auras des tonnes d’anecdotes à me raconter 😘

— Oui !

Dis, Jimin, j’aimerais bien te parler de quelque chose, avant.

Tu fermes la librairie à quelle heure ?

De quoi tu veux me parler ?

On en parlera samedi. 🤗

Oh, désolé, j’ai rendez-vous avec la comptable ce soir.😩

Je t’appelle si je ne rentre pas trop tard.

— OK… bon courage, mon étoile ✨

Ainsi s’écoule la semaine de Jimin jusqu’à vendredi, entre excitation, impatience et inquiétudes refoulées. Taehyung alterne les phases d’agacement et de renonciation. Il boude même quand Jimin l’assure qu’il ne lui adressera plus jamais la parole s’il se met en tête de monter à nouveau un de ses plans diaboliques.

***

— Je te préviens, hors de question de faire comme lundi matin ! Tu te débrouilles TOUT SEUL !

Jimin est englouti par ses oreillers et ses coussins. Le soleil à peine levé, il a sauté de son lit, tourné en rond, commencé à faire son sac, paniqué, et a fini par se rouler en boule sous sa couette. Quelques instants plus tard, il a crié à l’aide. Jungkook a déboulé, les cheveux en bataille, les yeux écarquillés, totalement paniqué.

— Mais… s’il te plaît…

— Y a pas de s’il te plaît ! Moi, j’en ai marre ! Et tu ne retournes pas encore une fois toute ta chambre ! Pas question ! Ou alors je ne rentrerai plus jamais dans la pièce qui te sert de tanière ! Finito ! Ton petit mulot en a ras les moustaches !

Jimin pouffe.

— Ça te fait rire, hein ? Bah, bah, tant mieux ! essaie de se fâcher Jungkook.

— Tu ne résisteras pas à l’appel de l’aspirateur et de la machine à laver, le brave Jimin.

— On verra bien… en attendant, si tu ne sors pas de ta couette, tu vas finir les cuisses et le bide à l’air à la plage ! Non, j’ai dit non ! Remballe cette bouille… Arghhh… d’accord !

— Je t’adore ! exulte Jimin en sautant au cou de Jungkook.

— Tu m’énerves…

Mais Jungkook n’est pas convaincant. Jimin lui tend son sac de voyage et trottine d’un bout à l’autre de sa chambre pour aller chercher ce que Jungkook lui conseille de prendre. Le sac terminé, Jimin enfin habillé, Jungkook se laisse tomber sur le lit, les bras en étoile de mer.

— Je vais jamais pouvoir me rendormir. Adieu ma grasse mat !

— Kook ?

— Mmm ?

— Tu seras là, dimanche midi, à mon retour ?

Jungkook se tourne vers Jimin, assis en tailleur sur son tapis. Jimin n’affiche plus son air taquin. Une ride barre son front, un gros soupir passe la barrière de ses lèvres pincées.

— Possible. Il faut que je vois avec Jin. Pourquoi ?

— Pour rien… Non, non, pour rien… t’en fais pas.

***

Jimin a choisi d’emmener Namjoon sur l'île de Muuido. D’abord, parce qu’elle se trouve près de Séoul. Ensuite, parce qu’elle offre de magnifiques paysages sur de courtes distances. Enfin, parce qu’il y a la sublime plage d’Hanagae.

Comme ni Namjoon ni Jimin ne possèdent de voiture, Taehyung a proposé de prêter la sienne. Quand Jimin a dit, au détour d’une conversation, qu’il passait à l’agence de location de voitures, Taehyung a fait un tel cinéma que Jimin n’a pu refuser son offre.

Voilà le moment tant attendu.

Pourtant, Jimin et Namjoon se saluent maladroitement, leurs lèvres se manquent de peu, ils se bousculent en rangeant leurs bagages dans le coffre de la voiture. Ils respirent la nervosité. Et, quelques instants plus tard, ils se retrouvent, à deux, devant la portière du conducteur.

— Je conduis ? disent-ils en même temps.

Ils rient, embarrassés.

— Ça ne me dérange pas, enchaîne Namjoon exactement au moment où Jimin dit :

— Je vais le faire.

Namjoon finit par faire le tour de la voiture. Jimin ne sait pas s’il est vexé ou embarrassé. Il se sent dans ses petit* souliers.

— Tu aimes conduire ? demande Jimin quelques minutes après avoir quitté leur quartier alors que le silence envahit l’habitacle.

— Oui, répond Namjoon sans attendre. Et j’avais envie de faire ça pour toi. Mais je comprends. C’est la voiture de ton ami. Et elle est flambant neuve.

— Tu prendras le volant au retour, le coupe Jimin.

Namjoon lui sourit. C’est un sourire à faire fondre les pôles. La glace est brisée.

— On met de la musique, propose Jimin.

— Bonne idée ! J’ai fait une playlist !

— Tu as fait une playlist ? Pour ce voyage ? Vraiment ?

— Oui, vraiment, acquiesce Namjoon timidement. Mais je peux ajouter les titres que tu veux écouter ?

Ainsi le voyage se poursuit. Jimin découvre que la douceur de Namjoon s’accompagne d’un véritable tempérament doublé de goûts affirmés. Jimin est agréablement étonné : lui si habitué à faire céder son entourage, d’une manière ou d’une autre, à ses volontés et désirs, transige sans difficulté avec Namjoon. Tout est facile, et simple. Jimin aime ce sentiment d’harmonie qui émane de leurs deux personnes lorsqu’ils sont ensemble.

Leur conversation faite de petit* riens et de choses insignifiantes dit, malgré tout, beaucoup d’eux. Incheon et le ferry sont vite passés. Les voilà enfin sur la plage de Hanagae.

Jimin regarde la mer en plissant les yeux parce qu’il n’a pas pensé à emmener ses lunettes de soleil. Ou plutôt, Jungkook a oublié de lui rappeler de les prendre. Un voilier blanc suit la ligne d’horizon avec sa grande voile gonflée par le vent frais de ce début d’automne. Même si le temps est ensoleillé et particulièrement clément, la brise est froide. Jimin frissonne. Namjoon enroule son bras autour de lui. Tout est parfait. Ils marchent ainsi dans le sable pour se rapprocher du rivage. Jimin regarde la mer et le ciel bleu strié de longs nuages blancs effilochés. Jimin est si heureux d’avoir choisi cette destination pour passer cette journée avec Namjoon. Tout est si beau que c’est comme s’il n’y avait aucun souci enfoui et tu.

Le vent souffle dans leurs cheveux et les emmêle, le vent froid pique leurs yeux et rougit la peau de leurs joues et de leurs mains maintenant entrelacées. Jimin se sent heureux de marcher comme cela, au soleil et au vent, sans penser à leur conversation à venir.

Quand ils quittent enfin la plage pour emprunter la promenade côtière et ses pontons de bois, le vent s’apaise et ils peuvent enfin parler de nouveau. Jimin, le nez dans son écharpe, écoute avec délice les souvenirs d’enfance de Namjoon. Le chemin serpente le long de la côte entre les récifs et les pins. Les vagues, nerveuses, cognent contre les rochers acérés, gonflent, se soulèvent, se creusent, se retirent, puis recommencent inlassablement. Jimin écoute le bruit de la mer, l’eau qui clapote et se déchire, qui converse avec les mouettes au cri aigu et lancinant.

Jimin aime tant la mer. Jimin ouvre tout grand sa coquille. Jimin se sent infiniment vulnérable. Jimin aime que ce soit Namjoon près de lui, à ce moment-là.

Ici, tout est plus lumineux et plus intense qu’à Séoul. Ici, Jimin se sent plus vivant que jamais.

Après un déjeuner joyeux dans un restaurant de fruits de mer, entourés d’un groupe de personnes âgées piaillant et jasant tant et tant que les mouettes en sont jalouses, Jimin et Namjoon s'assoient sur un grand rocher plat, un peu en retrait de la promenade, à l’ombre protectrice d’une petite crique. Ils regardent silencieusem*nt l’horizon, blottis l’un contre l’autre. Ils restent longtemps ainsi sans mot dire.

Jimin sent que le moment est venu. Jimin sait que c’est maintenant. Il se dit que cela fera moins mal si c’est lui qui prend les devants.

— Tu as accepté l’offre ? demande Jimin sans détour.

Namjoon est surpris. Plusieurs fois, des mots tentent une sortie mais aucun son ne passe la barrière de sa bouche. Il entoure ses genoux repliés de ses bras et y pose son menton.

— J’ai essayé de t’en parler, cette semaine, tu sais.

— Je sais. Je suis désolé. Je n’ai pas pu.

— Non… j’ai refusé… murmure Namjoon sans regarder Jimin.

Jimin ne comprend pas. Il devrait sauter de joie mais il ne ressent que de la peine et peut-être aussi de la culpabilité.

— Mais pourquoi ?

— Je ne sais pas. J’ai eu peur, sans doute. Ici, j’ai une vie agréable, des amis, et toi…

La gorge de Jimin se serre. La victoire est amère. Il ne l’apprécie pas.

— Ne me dis pas que c’est à cause de moi. Sans moi, tu aurais accepté ?

Namjoon reste silencieux. Jimin n’aime pas. Mais il patiente.

— Je te l’ai dit. J’ai eu peur. Tout s’est terminé vraiment abruptement pour moi. La musique, c’était tout mon monde. Et si je ne valais plus rien ? Yoongi a tendance à s’emporter et à encourager excessivement quand il s’agit de ses amis et de ses proches.

— Rappelle-le. Rappelle-les ! s’écrie Jimin sans réfléchir. Tu t’en voudras de ne pas avoir au moins essayé.

Jimin se mord la lèvre. Il est sa propre entrave, son propre obstacle. Namjoon se tourne vers lui. Un voile sur ses yeux si beaux enfle pour devenir des larmes délicates.

— Je ne veux pas renoncer à toi. Pas maintenant que tout devient concret et si doux.

— On trouvera un moyen, ment Jimin.

Il ne voit pas comment Namjoon peut obtenir les deux, le job et l’homme de ses rêves. Jimin ne se figure pas comment il pourra aimer un homme qui se trouve à l’autre bout du plus grand océan du monde. Leur baiser a le goût salé de la mer, brûle comme les rayons du soleil qui dardent à travers les nuages.

Jimin est heureux comme il ne l’a jamais été. Jimin est misérable comme il ne l’a jamais été.

***

Blotti contre lui, il écoute Namjoon au téléphone avec Yoongi. Il entend les exclamations heureuses à l’autre bout du fil, et le “Pas de soucis, je vais arranger ça !”.

Jimin se fond dans les côtes de Namjoon, cette nuit-là, où la frontière entre le moi et le lui s’efface, dans les draps trop impersonnels de l’hôtel.

— Jimin, Jimin je t’aime tant que ça fait mal, murmure Namjoon dans l’oreille de Jimin.

Les mots rayonnent à l’intérieur de son corps, comme s’ils étaient écrits en lui et n’attendaient que la voix de Namjoon pour se réveiller. Namjoon s’endort et Jimin s’assoit, le dos contre la tête de lit. Autour de lui, le silence, un silence si grand et si fort qu’il lui rappelle un autre dans lequel il a voulu mourir. Il se dit que ce serait magnifique que tout s’arrête là, maintenant, enveloppé par la chaleur du corps et des mots de Namjoon. Mais le jour reviendra, le temps s’écoulera, et ce moment se dissoudra sans que Jimin ne puisse le retenir. Alors Namjoon s’éloignera de lui plus vite que ne s’envolent les mouettes chassées par un enfant rieur. Il ne peut fermer les yeux. Il ne cille pas et laisse errer ses doigts dans la chevelure de Namjoon.

***

— Amy ! Amy, reviens ! Tu vas encore être transie de froid ! hurle Jimin.

Amy saute dans les vagues, se retourne un bref instant puis poursuit sa course folle. Le soleil tape fort sur la mer qui chatoie et sur les épaules de Jimin. Jimin a laissé derrière lui la peur, les regrets, la solitude, et Séoul. Ici, au bord de l’océan, il vit enfin.

Namjoon est parti, un matin de novembre, des promesses plein les lèvres et les mains. Jimin s’est accroché des mois durant aux lettres et messages, aux allers-retours et aux “on se revoit très vite”. Et puis, l’amertume s’est invitée. Rapidement, Jimin est devenu acerbe, une plaie pour lui mais aussi pour son petit mulot et son meilleur ami ; rien ne trouvait plus grâce à ses yeux.

Alors, il a posé un acte de foi. Un acte de foi envers la vie et l’amour.

Il a suivi le vent, le soleil et la mer. Il a brandi une nouvelle liberté en étendard. Il a fait un choix, celui de ne penser qu’à lui.

Jimin, sur la dune, frotte ses pieds avant de remettre ses Chelsea. Amy accourt vers lui et l’écrase contre le sable. Jimin explose d’un grand rire et évite les manifestations de tendresse intempestives d’Amy. Ensemble, ils regagnent la ville et ses rues qui sont maintenant son chez lui.

Ses matins de semaine sont à présent animés, déconcertants, parfois euphorisants quand il se laisse aller à la gaieté.

Ouvrir le rideau métallique, allumer les lumières et l’ordinateur, sortir et descendre les deux marches pour déposer le paillasson “Bienvenue” orné de la tour Namsan, déballer les colis arrivés la veille, s'accouder au comptoir et contempler la rue qui s’anime, un café chaud entre les mains qu’il sirote à peine.

Il joue avec les nombreuses bagues en argent qui ornent ses mains d’un air distrait, puis il relit un passage de livre qui le passionne depuis la veille, alors qu’Amy trouve sa place sur le fauteuil club de la librairie.

“Les gens croient poursuivre les étoiles, et ils finissent comme des poissons rouges dans un bocal. Je me demande s'il ne serait pas plus simple d'enseigner dès le départ aux enfants que la vie est absurde.”

C’est si agréable de lire ses propres pensées écrites par une romancière française !

Jimin replonge dans L’élégance du hérisson le cœur battant, en attendant l’appel de Taehyung.

“Pbvvv… Pbvvv…” vibre le portable de Jimin sur le comptoir. Le cœur de Jimin explose de joie ; il attend cet appel depuis la veille au soir.

— C’est une fille ! pleure Taehyung au téléphone. Se-yeong va avoir une petite soeur !

Jimin pleure aussi de joie. Il aimerait, à cet instant, être secoué par Taehyung frémissant de bonheur et d'inquiétude.

— Waouh ! Félicitations !

— Merci ! Tu viendras, hein ? Et la librairie ? Comment va mon autre bébé ? Bang en bouffe son poing de savoir qu’on l’a fait.

Au petit Séoul marche du feu de dieu, Tae. Tu n’as pas vu les chiffres ?

— Si ! Bon sang, je n’arrive pas à le croire que j’ai ma propre chaîne maintenant.

Jimin se figure Taehyung gesticulant, tournant et virant, exultant à l’idée de sa propre réussite mais aussi à celle d’afficher son indépendance en forme de doigt d’honneur à l’adresse de M. Bang.

“Dling, dling…”

— Je dois te laisser. Je te rappelle, promis !

— Je t’aime, répond simplement Taehyung.

— Merci, fait Jimin, narquois.

— Jimin-aaaah…

— Je t’aime, moi aussi. À plus tard.

Un halo de lumière dorée pousse dans la petite librairie de Jimin un bel homme souriant. Des fossettes creusent ses joues, et le bonheur étire ses magnifiques yeux de dragon.

Amy bondit du fauteuil, grogne, aboie avant de se jeter sur le nouvel arrivant.

— Amy ! Tout doux ! rit Namjoon. Je vais encore être couvert de poils. Quelle idée d’avoir adopté un Terre Neuve, râle-t-il.

— Tu craques pour elle, toi aussi, ne mens pas.

Jimin glisse ses doigts sous le collier d’Amy et flatte son encolure de gratouilles taquines. Le grand chien noir s'assoit et regarde son maître avec adoration.

— Bonne fille, dit Jimin avant de se fondre dans les bras de Namjoon.

Ici, à Santa Monica, le vent, les gens et les livres n’ont pas la même odeur. Son linge non plus d’ailleurs. Jimin a renoncé à son monde rassurant et confiné d’habitudes, de rituels, de routines. Il a pris le risque de traverser un océan et de commencer à bâtir sa propre vie loin des soins ultra protecteurs de Taehyung et Jungkook.

Parce qu’ici il y a l'incertitude et l’avenir. Ici, il y a Namjoon qui ose vivre ses rêves sans plus jamais renoncer à rien. Et Namjoon vaut tous les récits amoureux écrits ou encore à l’état de germe dans l’âme des écrivains. Ici, il y a eux, avec des mots beaux comme le ciel infini, des mots tatoués dans l’air qu’ils respirent et partagent.

— Je t’aime, confie Jimin à la paume qu’il embrasse.

“Dling, dling”

Le monde extérieur pénètre dans sa librairie et Jimin l’accueille les bras grand ouverts.

Un tout nouveau chapitre - Anonymous - 방탄소년단 | Bangtan Boys (2024)

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